De toutes les angoisses dont les nouvelles technologies prétendent nous soulager, celles de l’abandon et de la solitude sont incontestablement les principales. Nous les avons tous vécues précocement, et nombreux sont ceux chez lesquels elles ont été réveillées par des expériences traumatiques précoces comme des séparations inopinées ou des deuils.
Mais, chez certains d’entre nous, cette inquiétude a une dimension supplémentaire. Il ne s’agit pas seulement de l’angoisse de se retrouver seul, mais de celle de « s’effondrer », c’est-à-dire d’être littéralement annihilé par la séparation.
Le psychanalyste anglais Winnicott nous a donné la clé de cette situation. Pour lui, cette crainte est la trace, projetée sur l’avenir, d’un effondrement qui a déjà eu lieu et a provoqué une « agonie primitive » (1) . Si celui à qui cela est arrivé le redoute autant, c’est parce qu’il ne s’en souvient pas. Et s’il ne s’en souvient pas, c’est parce que l’événement est advenu à un moment où sa personnalité n’était pas encore suffisamment constituée pour réaliser ce qui lui arrivait. La rencontre entre l’événement et le sujet ne s’est pas produite parce que le sujet n’était pas au rendez-vous.
Les jeux vidéo dans lesquels le joueur intervient avec un avatar constituent à mon avis un territoire privilégié où ceux qui ont vécu cette angoisse tentent de s’en guérir. Car l’avatar ne s’effondre jamais ! Il est, du coup, le plus sûr moyen de nous protéger contre la perception de cette angoisse.
La prise en charge des joueurs excessifs doit tenir compte de l’existence de ces situations. Lorsqu’il pense y avoir affaire, le thérapeute doit informer le patient sur deux choses. Tout d’abord, l’agonie primitive a déjà eu lieu, et ensuite le patient y a survécu. La crainte qui mine sa vie est donc doublement inutile : d’abord, parce que l’événement est passé – la menace n’est pas actuelle – et ensuite parce qu’il a été capable d’y survivre avec des moyens psychiques bien loin d’être aussi efficaces que ceux qu’il a mis en place depuis en devenant adulte.
 
(1) Winnicott, D.W. (1974), « La crainte de l’effondrement », Nouvelle Revue de Psychanalyse, Gallimard, 1975, pp 35-44.