La Croix rouge vient de demander que la convention de Genève s’applique dans les jeux vidéo de guerre. Quelle excellente initiative ! C’est en effet une erreur de penser que ces jeux soient trop réalistes. En réalité, ils ne le sont pas assez ! Leur réalisme est limité aux armes et aux blessures, mais les blessés en sont absents. Les champs de bataille virtuels ne résonnent jamais des cris des blessés ni des râles des agonisants. Ce pseudo réalisme a un modèle, c’est celui du rêve. Les jeux vidéo créent un faux réalisme qui est très précisément le réalisme onirique. Tout ce qui y arrive est centré sur le joueur exactement de la même façon que le rêve est centré sur le rêveur. Tout part de lui et tout y revient. Il est invulnérable et sa mort ne signifie rien d’autre que son réveil. Dans le jeu vidéo, ce moment est celui où le sentiment d’immersion par lequel le joueur se sentait faire partie du monde du jeu prend brutalement fin. Il est renvoyé à la sauvegarde précédente et se retrouve à regarder son écran en se demandant ce qui s’est passé. Il n’est plus dans le jeu, il est devant. Il s’est « réveillé ».
C’est pourquoi il est essentiel de créer dans les jeux de guerre plus de réalisme, et précisément un réalisme qui en respecte tous les paramètres, y compris ceux des lois de la guerre. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi que l’entraide, la compassion et la solidarité y aient leur place. Le problème des jeux vidéo n’est pas que la violence y soit trop présente, parce que le monde est hyper violent. Le problème, c’est qu’elle n’est présente qu’à travers sa face sombre, l’agression. Mais si la violence ne suscitait pas aussi le désir d’entraide, l’espèce humaine aurait disparu depuis longtemps !
Une étude que j’ai dirigée entre 1997 et 2000[1] a montré que les mêmes images violentes peuvent influencer les enfants différemment. Il y a ceux qui y voient une légitimité à utiliser la violence pour résoudre leurs problèmes quotidiens, ceux qui s’identifient aux victimes et ceux qui réagissent à la violence des écrans en développant le désir de la réduire. Il faut faire en sorte que le plus grand nombre possible d’enfants s’engagent dans le troisième groupe, et pour cela, il faut mettre en scène l’autre face de la violence, c’est-à-dire l’entraide qui s’y manifeste toujours. Ces choix doivent être possibles dans les jeux vidéo comme ils le sont dans les jeux spontanés des enfants, pour que ceux qui sont enclins à cette attitude puissent la développer, et que ceux qui en sont dépourvus puissent la découvrir.
Un jeu de guerre indique le chemin : Full Spectrum Warrior. Les blessés gémissent et il faut les soigner sous peine de les voir mourir, et de perdre la partie. Car la mort d’un seul soldat de sa troupe ramène le joueur au début. Aucune sauvegarde n’est possible. Le jeu désespère, comme la guerre.
Mais il existe une autre raison pour laquelle l’entraide et la solidarité doivent trouver leur place dans les jeux de guerre. Le jeu vidéo est souvent présenté comme un moyen d’inviter le joueur à développer un esprit d’initiative face à l’imprévisible. C’est vrai. Mais l’entraînement à la plasticité psychique ne s’y limite pas. Il doit aussi intégrer le fait d’être capable de se glisser dans des rôles différents. C’est ce que le « jeu des trois figures » tente d’apprendre aux enfants dès l’école maternelle. Mais c’est une capacité à laquelle les jeux vidéo peuvent préparer aussi, à condition que le joueur puisse y jouer plusieurs rôles, et se rendre compte des conséquences à chaque fois différentes de ses choix.


[1] Recherche menée sur 200 enfants âgés de 11 à 13 ans. Résultats consultables dans Enfants sous influence. Les écrans rendent-ils les jeunes violents ? Armand Colin, 2000.