Marie Bonaparte, Célia Bertin, édition Perrin, novembre 1999. (Présentation de Elisabeth Roudinesco), 433 pages, 21€. (Une biographie de Marie Bonaparte)
 

Marie Bonaparte a été une figure importante de la psychanalyse française. Elle a de plus joué un rôle décisif dans le sauvetage de Freud et d’une partie de sa famille au moment de l’arrivée des Nazis à Vienne. C’est grâce à elle et à ses interventions qu’ils ont pu se réfugier en Angleterre, non sans abandonner à leur terrible destin les sœurs de Freud qui ont disparu, toutes les quatre, dans les camps de la mort. Elle n’avait pu obtenir un visa de départ pour elles. 

Marie Bonaparte a traduit en français quelques uns des textes de Freud et écrit elle-même un certain nombre d’ouvrages, parmi eux, quelques uns sont des textes proprement analytiques. Nous y apprenons par exemple qu’elle s’intéressait beaucoup aux affaires criminelles, comme en témoigne d’ailleurs son article sur Mme Lefèvre, une femme qui avait assassiné sa belle-fille enceinte, de sang-froid, d’un coup de pistolet. 

Célia Bertin a consacré une biographie très intéressante et riche à cette descendante de la famille Bonaparte. Elle s’appelait elle-même « la dernière Bonaparte ». Sa vie a été un vrai roman princier : elle a en effet épousé le roi Georges de Grèce. Cela ne l’a pas empêché d’avoir de nombreux amants, avec la complicité de son mari car, lui, avait d’autres amours. Le plus célèbre des amants de la princesse a été Aristide Briant. Ainsi on peut dire qu’elle a presque vécu sous les ors de la royauté et sous ceux de la république. Elle avait eu également quelque faiblesse pour un « jeune amant », Rudolph Lowenstein, qui, par ailleurs, a été l’analyste de Jacques Lacan. 

Mais ce qui mérite de retenir notre attention c’est, avant tout, la participation de Marie Bonaparte à l’histoire de la psychanalyse et, de façon tout à fait personnelle, à son approche de la sexualité féminine. Elle nous donne en effet, de par ses problèmes sexuels qu’elle a tenté toute sa vie de résoudre, une approche vivante et inattendue de la question de la frigidité.

Marie avait entendu parler du Professeur Halban, lui aussi de Vienne, qui pratiquait des interventions chirurgicales pour guérir ses patientes de leur absence de plaisir orgasmique. Il rapprochait, dans ce but, le clitoris du méat urinaire. Elle devint une enthousiaste propagandiste de cette méthode avant de devenir celle, non moins enthousiaste, de la psychanalyse. Elle ne put en tout cas que reconnaître l’échec total de cette méthode chirurgicale en ce qui la concernait.

Célia Bertin cite quelques lettres échangées entre Freud et le Dr. Laforgue, un de ces premiers psychanalystes français, dans lesquelles ce dernier demandait à Freud de bien vouloir accepter Marie Bonaparte en analyse, non sans qu’elle-même d’ailleurs pose ses conditions (celle par exemple d’être reçue par lui deux fois par jour).

Il lui écrivait :

« C’est essentiellement pour des raisons didactiques que cette dame voudrait aller vous voir. Elle a selon moi un complexe de virilité prononcé et d’autre part de nombreuses difficultés dans la vie, si bien que l’analyse serait de toute façon indiquée. »

Je ne sais pas si Célia Bertin brode un peu trop sur la réalité des amours transférentielles de Freud et de Marie Bonaparte, mais ce n’est pas certain. Elle écrit :

« Découvrir une princesse qui correspondait si bien à un rêve de jeunesse touchait Freud. Il avait surnommé « Princesse » au début de leurs relations, celle qui devint quelques années plus tard, Madame Sigmund Freud. « Princesse », c’était pour Marie comme un nom familier ». Pour Freud, « Prinzessin » était un mot qui lui plaisait, sans doute comme dans les contes de son enfance.

Mais il n’y avait pas que cette sympathie réciproque, Freud espérait grâce à Marie développer la psychanalyse en France. « Il y a en moi un disciple qui ne fléchira pas » l’assura-t-elle.

Elle avait enfin trouvé le père idéal, celui qui dépassait ses espérances.

On ne peut que regretter que, malgré son dévouement à la cause analytique et à Freud, elle ait éprouvé une haine aussi solide à l’égard de Jacques Lacan. Elle le traitait de « fou » ou encore de « paranoïaque ». Cela laisse penser, je fais cette hypothèse, que son vigoureux complexe de virilité était encore puissamment à l’œuvre, malgré son analyse avec Freud. Ce qui ne pouvait que l’entraîner à lutter de toutes ses forces contre cet homme, un objet rival, qui, de plus, prétendait effectuer « un retour à Freud », il est vrai avec l’appui de la linguistique.

De cette lutte sans merci qu’elle lui a livré nous avons quelques échos dans cette biographie. Je dois dire que cela m’a intéressé de retrouver dans cette histoire de la psychanalyse en France, les points de vue des détracteurs de Lacan, notamment à propos de la question de ses « séances courtes » et que l’on devrait plutôt qualifier de séances à durée variable.

En bref, une lecture qu’on ne peut que conseiller. Un documentaire qui a été tiré de ce livre est également très bien fait. Il a pour titre « Princesse Marie ».

Ce livre m’a donné envie de reprendre, à partir de ce que cette Princesse nous en indique, cliniquement, cette question si épineuse de la frigidité. Je réaliserai ce projet, sous peu.

Liliane Fainsilber