Nicolas Kayser-Bril (St.) | Le Soir en ligne | 21-09-2006
Malgré ses milliers d’adeptes, la psychothérapie reste un no man’s land juridique. En attendant une loi, difficile de distinguer les charlatans des scientifiques.
Nous sommes en 2006 ; de nombreuses professions sont occupées par des diplômés Toutes ? Non, un domaine peuplé d’irréductibles résiste encore et toujours à la législation. En effet, rien ne réglemente le titre de psychothérapeute. En Belgique, des milliers de professionnels exercent en dehors de tout cadre légal.
Ce vide juridique représente une aubaine pour ceux, sans qualification mais pleins de bagou, qui profitent de cette activité lucrative. Comme Guillaume D., étudiant raté, qui enchaîne les premières années d’université avant de trouver l’astuce. Après une psychanalyse, il se convertit en thérapeute, recrutant d’abord dans son cercle d’amis avant de voir plus large. Son secret ? Le look freudien, avec pipe de rigueur.
Une étude a montré qu’en Belgique, si la moitié des psychothérapeutes possèdent une formation en psychologie ou en psychiatrie, on compte plus d’un tiers de vétérinaires, managers ou autres profs d’éducation physique qui ont trouvé dans la thérapie un confortable complément de salaire.
Impossible cependant de connaître l’ampleur du phénomène. On dénombre un peu plus de 2000 psychothérapeutes dans les Pages d’or. Mais aucune étude n’a été menée sur le nombre de patients ou sur le chiffre d’affaires du secteur, par ailleurs très opaque puisque le paiement s’effectue souvent de la main à la main.
Exercice illégal de la médecine
Pour Nady Van Broeck, professeur à l’Université Catholique de Louvain, ces psychothérapeutes tombent sous le coup de l’exercice illégal de la médecine. La sanction, en théorie, peut aller jusqu’à six mois de prison. Mais la société accepte cet état de fait et les psychothérapeutes amateurs dorment sur leurs deux oreilles.
Le professeur Van Broeck plaide pour une loi englobant les deux aspects de l’art médical. On ne doit pas en rester à une protection du titre, affirme-t-elle. Il faut aussi se pencher sur l’exercice de la profession. Concrètement, elle met en cause la loi du 8 novembre 1993, qui protège le titre de psychologue. Si un chirurgien tranche une aorte parce qu’il avait bu cinq péquets, il risque la radiation. Rien de tel pour les psychologues, la loi ne prévoyant aucune sanction.
La solution, selon Van Broek, se trouve chez nos voisins. Dix-sept pays européens ont déjà mis en place des conseils ou des ordres qui supervisent les psychothérapies. L’ancien ministre de la Santé Publique, Jef Tavernier, préparait une loi en ce sens avant d’être éjecté lors des élections de 2003.
Guerres de chapelle
Les projets de lois qui ont suivi ont tous capoté. La faute aux querelles entre les différentes écoles de psychothérapie. Si les thérapeutes cognitivistes et systémistes, qui suivent une démarche scientifique, s’accordent sur la nécessité d’un cadre légal, les psychanalystes, qui suivent l’enseignement de Freud, refusent catégoriquement de laisser l’université empiéter sur leurs plates-bandes.
La frontière linguistique vient pimenter le débat. Les Flamands, comme la plupart des Anglo-saxons, ont délaissé la psychanalyse depuis une vingtaine d’années. Mais les francophones, sous l’influence de grands noms comme Dolto ou Lacan, comptent une majorité de thérapeutes psychanalystes.
Pour Nady Van Broek, ces combats de chapelle datent d’un autre âge. La psychothérapie, en fait l’application clinique de la psychologie, se distance de plus en plus des cadres conceptuels. Selon elle, les différences de méthodes vont s’estomper et laisser la place à une synthèse des différents enseignements, laissant la part belle aux thérapies scientifiques. Reste à savoir si les psychanalystes vont accepter un tel changement.