Éric Favereau | Liberation | 11-01-2006
 

Hier, la loi sur l’usage du titre de psychothérapeute ne faisait pas l’unanimité.

Et c’est reparti. Les uns contre les autres, certains analystes contre certains psychothérapeutes, freudiens contre lacaniens, partisans des thérapies comportementales cognitives (TCC) contre psys relationnelles. Hier, pour la première fois de leur histoire, le ministère de la Santé a pourtant réuni toutes les composantes de la planète psy en France ­ soit près d’une cinquantaine de personnes ­, venues pour recevoir une première version des décrets très attendus de la loi, votée en 2005, qui entendait réglementer l’usage du titre de psychothérapeute. La réunion s’est tenue sous la présidence d’un responsable de la Direction générale de la santé. Le ministre, Xavier Bertrand, était absent, se souvenant peut-être des très méchantes polémiques qui ont entouré ce qu’on a appelé l’amendement Accoyer puis Mattei. Résultat ? C’est le brouillard qui prévaut, avec quelques gros orages en perspective.

 

Attestation. De fait, dans cette affaire, seul le point de départ a le mérite de la clarté. Qui peut se vanter du titre de psychothérapeute ? Des psys loufoques adorant le système lunaire ? Ou seulement des professionnels patentés, médecins, psychiatres ou psychologues cliniciens de préférence ? Mais quid des analystes qui ont suivi une formation originale, avec ses propres règles ? Que faire aussi de ceux, de plus en plus nombreux, qui ont une formation mélangée ? Telles étaient les questions initiales, très vite submergées par des querelles intimes, mais aussi par une interrogation de fond : est-ce à l’Etat de fixer les règles et de s’immiscer dans les mystères de la relation psychothérapeutique ?

 

Votée après moult péripéties, la loi a d’abord fixé un cadre : «L’usage du titre de psychothérapeute sera réservé aux professionnels inscrits sur un registre national des psychothérapeutes, géré à un niveau départemental. Cette inscription sera conditionnée au suivi d’une formation pratique et théorique en psychopathologie clinique.» Mais «les médecins et les psychologues, tout comme les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations, pourront figurer de droit dans ce registre». Les décrets d’applications allaient le préciser. Or ils se révèlent plus contraignants. Certes, ils insistent sur le fait que «l’usage du titre de psychothérapeute nécessite une démarche volontaire».

 

Uniformité. En somme, les analystes, qui ne veulent pas de ce titre, peuvent continuer à exercer comme bon leur semble. Mais pour ceux qui le souhaitent, c’est différent. Le décret oblige toute personne qui revendique le titre de psychothérapeute à «une attestation de certification en psychopathologie clinique». Cela renvoie à une formation de niveau mastère, validée par l’université. Cette formation en psychopathologie clinique vise à acquérir entre autres «une connaissance du fonctionnement psychique», et ajoute que «la personne doit avoir une connaissance des quatre approches de psychothérapie validées scientifiquement (analytique, systémique, cognitivo-comportementaliste, intégrative)».

 

«Une formulation inquiétante», réagit Roland Gori, professeur à l’université d’Aix-Marseille 1 et président du Séminaire interuniversitaire européen de recherche et d’enseignement de la psychanalyse et de la psychopathologie, «c’est une psychologie d’Etat que l’on est en train de définir.» Philippe Grauer, président d’un syndicat de psychothérapeutes, assez proche des analystes poursuit : «On est en train de fabriquer des sous-officiers de santé mentale pour remplacer des psychiatres qui disparaissent.» «Sur le plan intellectuel, c’est choquant, surenchérit l’historienne de la psychanalyse Elizabeth Roudinesco. C’est l’Etat qui définit quatre courants, qu’il dit validés scientifiquement. Cela ne veut rien dire, la psychanalyse ne s’est jamais définie comme une science. On est toujours dans la même dérive d’un Etat qui veut écrire la science, quand ce n’est pas l’histoire. Et on met le tout dans un seul moule : l’université.»

 

D’autres, au contraire, s’en félicitent, comme Bruno Dal Palu qui préside Psy en mouvement : «Tout le monde est mis à la même enseigne.» Certains lacaniens comme ceux d’Espace analytique se disent intéressés. Les freudiens pur sucre ne sont pas opposés, tout entiers dans leur guerre contre Jacques-Alain Miller, gendre de Lacan, qui, lui, s’interroge : «Il y a un risque d’une réorganisation plate.»

 

Au ministère de la Santé, on insiste : «La séance n’est pas finie. Ces décrets sont en concertation. Nous aurons une autre réunion pour analyser les propositions des uns et des autres».