Paru dans Le Soir, le 8 octobre 2005

Souvent, pour exister, certains psychologues, psychiatres avertis ou médecins tout court, prennent leur plume et partent à l’assaut de la psychanalyse freudienne, dame aussi vieille qu’indigne.

Cette Guerre a cent ans et ne semble pas les lasser, autant dire que rien n’annonce sa fin. Rappelons ceci : la critique de la psychanalyse fait partie intégrante de son histoire, du reste aucune nouvelle théorie relative à la place de l’homme dans son monde n’a été à l’abri de la critique. Voyez Galilée, Bruno, Einstein et bien sûr Freud et Lacan. Et c’est heureux ainsi.
Que cache cet infantile ” Freud nous a menti ” que nous sert un éminent professeur de psychologie ? Que recouvrent ces attaques, qui se préparent généralement outre-Atlantique, et qui visent à décapiter le travail de la psychanalyse freudienne ? Ces commissaires de l’inconscient, caporaux du désir veulent en finir avec une technique qui depuis cent ans vient au secours des hommes et des femmes que la vie met en position de souffrance réelle. L’air du temps veut que les réactionnaires s’unissent, les néoconservateurs et leur lecture unilatérale
du monde en Irak, les normalisateurs des comportements s’activent avec zèle pour servir ceux qui profitent de l’état actuel du monde. Former des cerveaux dociles, heureux dans le destin qui leur est fait. Cerveau deviendra serf-veau…
Ce qui semble évident pour les esprits positivistes c’est la possibilité de l’évaluation de la thérapie. Or, cette notion même d’évaluation est sujette à questions. La cure analytique est une démarche singulière qui met en face deux êtres parlants, un analysant porteur d’une demande et un analyste disponible pour l’écouter. Ce qui se noue séance après séance est de leur stricte relation et ne tolère ainsi aucune intervention extérieure. Peut-on imaginer une commission médicale devant laquelle se présenterait quelqu’un aux prises avec sa souffrance pour expliquer les progrès de sa cure et donner à juger de la compétence de son analyste ?
Permettez enfin à quelqu’un qui ne représente rien, qui ne s’autorise que de sa propre expérience, d’apporter un témoignage qu’il ajoute aux arguments théoriques. Durant des années, de façon régulière, j’ai fréquenté le divan. Mes motivations
étaient diverses, fortes et certainement contradictoires. Parmi mes raisons de recourir à l’analyse, la curiosité philosophique ne fut pas la plus déterminante. Elle se manifesta de surcroît.

 

Banal itinéraire d’un étranger, jeune adulte plongé sans médiation dans une extrême solitude. Prisonnier de son passé, incapable d’élaborer une ligne pour le futur, éternel chasseur de fantasmes dont l’ombre se dérobe à chaque coup pour ne laisser que l’amertume de l’échec, voilà à peu près l’homme que j’étais. Un homme perdu dans le dédale de son origine. La psychanalyse m’a renvoyé à cet homme que je croyais être. L’enfance pour commencer avec son cortège de parentèles, la foi religieuse et ses apories paralysantes et surtout ce brouillard qui entoure et aveugle, présent à chaque instant que l’on dorme ou que l’on veille, celui de la culpabilité.

 

Coupable de quoi ? D’être, tout simplement. La psychanalyse m’a sauvé de moi-même pour me précipiter nu et sans armure dans l’affrontement de mon désir, dans le jeu social qui a fini par faire sens. Au-delà de l’anecdote personnelle, la psychanalyse ouvre des espaces infinis aux interrogations qui, aujourd’hui, nous taraudent. Les pays arabo-musulmans jadis réfractaires à la psychanalyse, foisonnent de lieux, de séminaires qui se saisissent de la démarche freudienne. Ainsi, ” La psychanalyse à l’épreuve de l’islam ” de Fethi Benslama, entend justement à l’heure de l’islamisme, mettre au jour les refoulements constitutifs de la religion islamique qui prennent forme aujourd’hui ” d’un désespoir de masse “. Et c’est, nous dit ce psychanalyste, ” l’altérité féminine qui apparaît comme la nervure centrale du refoulement propre à l’islam “.
Nous sommes loin, chacun le comprend, des éructations convenues des anti-psychanalyse.
Il est remarquable que notre pays par l’autorité de son ministre Rudy Demotte travaille à l’adoption d’une loi fédérale qui tout en assurant la chasse aux charlatans, permettra aux psychanalystes d’exercer leur art de la façon la plus appropriée c’est-à-dire en dehors de tout do me et dans le respect de l’étique dont ils ne sont pas avares. Peut-être ainsi, la Belgique sera parmi les pays sinon pays, pionnier en la matière.
Contre les dogmes, la philosophie nous enseigne la déconstruction des certitudes, la psychanalyse nous invite à travers nos corps et nos rêves à nous méfier de la pulsion de la souveraineté pleine et entière. Elle se veut libre car ne cherche refuge ni à l’ombre protectrice de la théologie ni dans l’humanisme de bon aloi.
” C’est pourquoi elle paraît terrifiante, terriblement cruelle, sans pitié “, a pu en dire Jacques Derrida. C’est pourquoi elle reste nécessaire. Elle libère. Mais peut-être que la liberté n’est pas toujours de tout repos.
Ali Serghini est licencié en Philosophie, apprenti écrivain