Paru dans Le Monde, le 1 octobre 2005
Philippe Pignarre est l’heureux éditeur des empêcheurs de penser en rond, ce qui ne signifie pas nécessairement que lui-même ait rompu avec la figure mentale du cercle, forcément snob, puisqu’il isole les bons, qu’il admet des méchants, laissés à la porte (Le Monde du 16 septembre).

Sont ainsi rejetés sur le trottoir, les psychanalystes, accusés d’avoir eux-mêmes ­ et avant l’évolution des moeurs ­ “nosographié” les homosexuels, maltraité les parents d’autistes et négligé les toxicomanes. Ils se feraient les gardiens d’un ordre moral dépassé, de sorte à devoir disparaître avec lui dans l’histoire. Avant d’agiter les mouchoirs, peut-on encore voir ce qu’il en est ?

 

Posons une question simple : l’homosexualité relève-t-elle de la pathologie ? Ce que la psychiatrie américaine aujourd’hui récuse.

 

Si on admet qu’elle est organisée par une défense contre la différence et l’altérité, en l’occurrence, il est incontestable qu’elle en relève. Mais l’hétérosexualité est elle-même un alibi, une défense, contre le non-sens de l’existence.

 

C’est ainsi le sexe qui fait symptôme pour l’animal humain. M. Pignarre est trop informé pour ignorer que lorsque Lacan, examinant un malade, posait le diagnostic de “normalité”, le pronostic n’était pas rassurant. Il n’y a qu’à voir le monde que nous habitons. Dans celui-ci, les parents d’autistes.

 

Que certains poussent la fureur et la quérulence jusqu’à faire fronde contre des psys isolés, relevant d’écoles différentes, passionnés par le souci de sortir ces enfants du marasme, donne franchement envie de tout plaquer et de s’enfermer en soi.

 

Avec mes collègues de l’association de prévention de l’autisme, PréAut, j’ai initié, il y a quatre ans, une importante recherche épidémiologique afin que les pédiatres puissent identifier le risque d’autisme dès les premiers mois de la vie, et avant qu’une maturation cérébrale dévoyée ne rende le processus irréversible.

 

Ici, nos confrères cognitivo-comportementalistes, maîtres des chaires spécialisées et des commissions gouvernementales, nous disent combien ils souhaitent nous soutenir (nous manquons d’argent), à condition que nous renoncions à nos concepts, notre langage ! Sérieusement, n’y a-t-il pas là de quoi envier le sort des autistes ? En tout cas, il est improbable qu’on ne trouve jamais le gène responsable d’une fonction de relation hautement socialisée, comme celle qui manque à l’autiste.

 

Pour les toxicomanes enfin, j’ai cru devoir en son temps, par devoir précisément pour ceux qui venaient sur mon divan, m’engager à peu près seul ­ sinon avec Jean-Pierre Davant, le président de la Mutualité française ­, et malgré l’ensemble des intervenants en toxicomanie, pour la libéralisation des produits de substitution. Il n’y a pas à regretter que les pouvoirs publics nous aient entendus.

 

Charles Melman est psychanalyste et fondateur de l’Association lacanienne