J’ai commencé à écrire alors que j’avais entamé une analyse depuis quelques années, déjà. C’est donc l’analyse qui a été première, c’est-à-dire qu’il m’aura « fallu » en passer par elle (et par d’autres choses que je n’évoque pas ici) pour accéder à l’écriture. C’est indémontrable, je ne pourrais (ni ne voudrais) expliquer ce lien, mais je sais qu’il en est allé ainsi, dans mon histoire. (C’est pourquoi, écrire n’est aucunement pour moi une thérapie !)
La psychanalyse me faisait mesurer dans ma propre vie la vérité et le mensonge des mots, ou plutôt, la différence entre la construction mentale, les arguments, les conversations, le discours maîtrisé, et une parole enfouie, que l’on ignore la plupart du temps, autour de laquelle on s’est construit un monde de précautions et qui, lorsqu’elle échappe ou que l’on s’y risque enfin, vous fait perdre la face que vous vous étiez construite et vous laisse entrevoir la vôtre, la non rêvée, pas plus facile, mais plus vivante. L’image tombe, ainsi que les illusions, parce que les yeux se sont dessillés devant la vie que l’on a encore devant soi, qu’il ne reste plus qu’à la prendre à bras le corps, pas d’autre choix.
Après, je veux dire une fois entrée dans le temps de l’écriture, je veux dire « après coup », j’ai découvert ce qui peut exister de commun entre les deux ; non seulement cette reconnaissance des mots « en tant que tels », des mots comme des corps, marquant le corps, mais surtout le constat d’un même travail, comme une lente extraction, la tentative de laisser émerger d’un magma intérieur, d’un engluement une espèce de voix, quelque chose qui ait l’air de se tenir tout seul.
Et, de fait, dans ce travail, en fin de compte, on est seul.
Je pense que écrire s’apparente à cela, que l’écriture est un travail pour laisser les mots émerger du bruissement, les sortir du magma, pour les repérer dans le balbutiement, dans le non savoir dire, dans le vite dit, dans l’oubli d’avoir dit ; les laisser vous traverser, au point que lorsque vous les écrivez, ils vont au-delà de vous, de votre intention ; ils existent comme matière, comme en eux-mêmes ; et l’on voit aussi, alors, leur maladresse, leur incapacité à dire et tout ce qui est perdu dès qu’ils sont dits. Mais rien à faire, on écrit ; c’est comme une nécessité. Ecrire devient un verbe intransitif. Je pourrais dire que c’est inséparable d’exister, mais cela n’adoucit en rien l’existence.
Namur, le 31 mai 2006.
Nicole Malinconi est écrivain