Ce texte est paru dans le Monde (31-01-2007)

Le Parlement ne devrait pas légiférer dans l’urgence sur un sujet aussi sensible que leur formation par Marie-Françoise Bonicel, Cyrille Cahen, Pierre Canouï, Alain Delourme, Charles Gellman, Edmond Marc, Max Pagès, Catherine Reverzy et Lucien Tenenbaum

A l’unanimité, le 25 janvier, le Sénat a voté à l’unanimité le retrait des deux amendements que M. Accoyer, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, avait fait voter, contre l’avis du gouvernement, à l’Assemblée nationale, le 11 janvier. Ces amendements stipulaient que la formation des psychothérapeutes devrait être exclusivement confiée à l’université. La décision finale appartient à l’Assemblée nationale, après avis d’une commission mixte paritaire le 31 janvier. Ces amendements suscitent des protestations indignées chez les milliers de professionnels dûment formés et certifiés ainsi que chez les élèves – adultes de 35 à 50 ans – en cours de formation dans les instituts privés de psychothérapie.

Si une collaboration constructive est souhaitable entre les instituts privés et l’université, celle-ci n’est pas en mesure d’assumer pleinement la spécificité de ce métier. D’ailleurs, les psychologues ou psychiatres qui veulent acquérir une vraie compétence de psychothérapeutes se forment au moins quatre ans dans les instituts privés – que les amendements voudraient supprimer.

La volonté, légitime, de protéger les usagers de dérives sectaires ne prend pas en compte les règles rigoureuses de fonctionnement – déontologie, recrutement et formation, incluant la psychopathologie – que les organisations professionnelles se sont données depuis vingt-cinq ans.

Ce n’est pas en détruisant une profession en plein essor qu’on protégera la société ! On ne détruit pas les écoles de police parce qu’il existe quelques " ripoux ". C’est très rarement chez les 7 000 psychothérapeutes certifiés qu’on trouve les charlatans, mais dans des groupes sectaires usurpateurs de termes ou de pseudo-techniques psychothérapeutiques. Certes, depuis la loi hélas très mal bâtie de 2004, et grâce aux vives réactions des professionnels, le législateur a abandonné l’idée que la psychothérapie n’était qu’un simple " outil " au service du psychiatre. Mais la tendance persistante à vouloir faire de la formation à la psychopathologie le critère exclusif de validation de la profession entraîne une quadruple erreur :

– celle de méconnaître la spécificité du métier, de ses exigences de formation et de sa visée essentielle : aider le sujet à construire son autonomie, ce qui est exactement le contraire de la visée des sectes, qui renforcent sa dépendance ;

– celle de confondre les perturbations psychiques graves qui en appellent aux compétences du psychiatre, et ce qu’il est accoutumé d’appeler les souffrances psychosociales – qui constituent l’essentiel des demandes d’aide ;

– celle, centrale, d’éloigner de ce métier les personnes qu’un parcours personnel et professionnel prédispose à son exercice. En effet, il s’agit pour la majorité non pas de jeunes élèves sortis d’un cursus universitaire en psychologie, mais de personnes entre 35 et 50 ans, exerçant des métiers d’aide sociale, sanitaire, éducative et autres, et qui se préparent à un " second métier " en suivant une formation spécifique de quatre à six années ;

– celle enfin de menacer la créativité même de la psychothérapie, qui risque d’en être profondément asséchée. Faut-il rappeler que la psychanalyse et la psychothérapie en général ont été créées et se sont développées hors de l’université ?

En cas d’adoption de ces deux amendements, l’imbroglio et le risque d’implosion pourraient atteindre leur plus haut degré. Faute de pouvoir valider avec sagesse un décret d’application péniblement négocié, le plus raisonnable serait de remettre à plus tard, après l’élection présidentielle, des décisions vitales pour les personnes et pour la société. En repartant d’une analyse plus sereinement mûrie.

Marie-Françoise Bonicel, Cyrille Cahen, Pierre Canouï, Alain Delourme, Charles Gellman, Edmond Marc, Max Pagès, Catherine Reverzy et Lucien Tenenbaum sont psychothérapeutes