Une mode se répand dans les médias et l’édition. Elle consiste à tenter de deviner les pensées secrètes de nos dirigeants politiques. Disons-le tout net, cette mode est exécrable. Quelle différence y a-t-il en effet entre le rêve des scientifiques qui travaillent à mettre au point des machines permettant d’entrer dans les pensées secrètes des suspects, et cette mode désastreuse qui prétend deviner le fonctionnement mental de tel ou tel ? Dans les deux cas, c’est un fantasme, et un fantasme particulièrement malsain.
Il ne s’agit pas d’une condamnation de principe. A l’époque de Freud, cela pouvait passer pour une fantaisie amusante – à laquelle Freud, ni ses proches élèves, ne se sont d’ailleurs jamais livrés sur leurs contemporains. Mais la culture a changé. Dans les années 1980, on a pu craindre l’avènement d’un contrôle généralisé de chacun par un pouvoir centralisé. Mais ce risque est peu probable dans nos sociétés démocratiques. En revanche, un autre, que j’ai dénoncé dès 2001[1], est de plus en plus menaçant. Il s’agit de la mise en place d’une surveillance de particulier à particulier : des enfants par leurs parents, des jeunes par les directeurs d’établissements scolaires, des conjoints supposés infidèles par leur mari ou leur femme, des employés par leur patron et des consommateurs par des sociétés de publicités ciblées. Il y a plus de danger, aujourd’hui, dans cette tendance générale à prétendre surveiller et analyser que dans la mise en place d’un totalitarisme centralisé, genre « Big Brother ».
Disons le alors clairement : le désir de s’immiscer dans les pensées secrètes d’un inconnu à partir de ce qu’il montre relève toujours d’une logique intrusive et d’un désir d’emprise qui est aux antipodes de l’esprit de la psychanalyse. C’est bien entendu la même chose lorsque la personne observée est un créateur. C’est pourquoi les vrais psychanalystes ne s’intéressent pas aux créateurs, mais à leur œuvre, ce qui est bien différent.
[1] L’intimité surexposée, Paris, Ramsay, 2001 (Prix du livre France Télévision 2002, rééd. Hachette Littérature 2002).