Le 22 octobre 1941 à côté de Chateaubriant, Guy Môquet, résistant de 17ans et demi est fusillé. La veille de sa mort, il écrit une lettre à ses proches (voir ci-dessous).

Le 16 mai 2007, Nicolas Sarkozy  déclare "Je n’ai jamais pu lire ou écouter la lettre de Guy Môquet sans en être profondément bouleversé (…) Ma première décision de président de la République sera de demander au futur ministre de l’Education nationale que cette lettre soit lue en début d’année à tous les lycéens de France". Cette décision donne lieu à de nombreux débats.
Comme à l’accoutumée, nous publions les interventions de psychanalystes (ici, Elie-Jean Bernard) et, une fois n’est pas coutume, le beau texte d’un enseignant (Pierre Schilli), également paru dans Libération, le même jour

Larmes, gloire et récupération par Elie-Jean Bernard

Ce texte est paru dans Libération le 22 mai 2007

Le nouveau président de la République a donné le ton de son mandat : Blum, Jaurès et Guy Môquet ! Nicolas Sarkozy, en une authentique, quoique brève, odyssée moderne et un discours compassionnel, a surtout déshabillé la politique de son sens, de ses valeurs et de ses mots. C’est du Kennedy, nous dit-on. De Kennedy, qu’a-t-il retenu ? Que la politique est aussi une affaire de spectacle. Du show-biz pur.

Voici venu le temps des saintes icônes au gouvernement : distributeur de sacs de riz d’un côté, de soupe populaire et de meubles usagés de l’autre. Et voilà sur l’autel, autre tableau vivant pour l’édification des foules, le jeune militant communiste luttant au péril de sa vie contre les nazis. Mais en quoi Guy Môquet serait-il un modèle aujourd’hui ? Contre qui, contre quoi un jeune militant se doit-il de «résister» en 2007 ? Le président Sarkozy a certainement une idée sur la question…

Qu’entend-il, Nicolas Sarkozy, dans la lettre de Guy Môquet ? La lutte contre le fascisme, contre la haine de l’autre, contre l’antisémitisme ?

L’amour de l’idéal communiste, rions un peu ? Ne faut-il pas y voir tout simplement la célébration de sa «petite maman chérie» ? Du «petit papa» auquel il a fait «bien des peines» mais dont il a tenté de suivre «la voie tracée» ? Car, dans cet adieu de Guy Môquet à sa famille, le Président n’a, semble-t-il, retenu que l’émotion inouïe qui s’en dégage. Voilà ce qui lui a tant plu, puisque rien n’y est dit (et son auteur n’est évidemment pas en cause) de la lutte pour la liberté, contre la barbarie, pour une humanité meilleure ou pour l’avènement du communisme. Larmes, gloire et récupération. Avec derrière la caméra Nicolas Sarkozy en père de la nation, soucieux d’abriter sous son aile tous les affects en déshérence politique, frontistes et orphelins communistes inclus.

Que veut-il nous faire entendre, Nicolas Sarkozy, à travers Guy Môquet ? A 17 ans, on peut être aussi bien un héros qu’un délinquant. L’un et l’autre ne sont-ils pas responsables de leurs actes ? Ainsi préparerait-on les esprits à l’abolition du peu qui reste de l’excuse pénale de minorité, contenue dans l’ordonnance de 1945 ? Ministre de l’Intérieur, Sarkozy n’a-t-il pas ouvert la voie en conférant aux maires les pouvoirs d’une nouvelle police de la famille, apte à convoquer et punir enfants et parents ? Que veut-il donc nous faire entendre, ce président qui classe du côté des délinquants ceux qui «résistent» à sa politique sécuritaire ?

Elie-Jean Bernard est psychanalyste.

Pourquoi je ne lirai pas la lettre de Guy Môquet à mes élèves à la rentrée par Pierre Schilli

Ce texte est paru dans Libération le 22 mai 2007

Il est imprudent d’instrumentaliser politiquement l’histoire et de n’en livrer qu’une vision émotionnelle.

Nicolas Sarkozy vient d’indiquer que sa «première décision» de président sera de faire lire chaque début d’année dans tous les lycées la dernière lettre du jeune résistant communiste Guy Môquet, fusillé à 17 ans en 1941.

Professeur d’histoire-géographie a priori concerné par cette initiative, je voudrais expliquer pourquoi, sans vouloir remettre en cause l’autorité du nouveau président de la République, je ne lirai pas cette lettre dans un tel cadre.

La première raison tient à l’instrumentalisation politique de l’histoire par Nicolas Sarkozy. L’historien Gérard Noiriel, un des animateurs du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH), avait, parmi les premiers, montré les ressorts de l’usage de l’histoire dans le discours public du candidat de l’UMP : son récit mémoriel a pour fonction de transcender les appartenances partisanes, avec notamment pour objectif de «fabriquer un consensus occultant les rapports de pouvoir et les luttes sociales» (http://cvuh.free.fr/).

C’est bien le sens de ses nombreuses références aux figures tutélaires de la gauche, qui ne sauraient valoir blanc-seing pour une captation d’héritage durable : le nom de Guy Môquet figurait dans le récent panthéon du candidat Sarkozy, et son engagement résistant, indissociable de son engagement communiste, n’a rien à gagner à devenir le prétexte à une lecture édifiante aux lycéens de France. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler les suites de l’escapade maltaise du nouveau président : Vincent Bolloré a justifié le financement de cette croisière en faisant un parallèle indigne avec une visite de Léon Blum dans sa famille en 1947. Et voilà comment le nom de l’ancien président du Conseil du Front populaire, lui aussi maintes fois évoqué durant la campagne électorale, pouvait être utilisé au nom de la défense de petits intérêts politiques. Il me semble donc imprudent d’exposer au même risque d’instrumentalisation la mémoire de Guy Môquet.

La seconde raison, tout aussi importante me semble-t-il, est liée à des considérations pédagogiques. Vouloir faire lire en début d’année cette lettre risque de limiter cet exercice à une séquence émotionnelle à laquelle la lettre se prête particulièrement bien. Je ne sais pas s’il s’agit là de la motivation profonde de cette initiative ; est-il permis de rappeler au nouveau président que l’enseignement de l’histoire ne s’accommode pas de ce seul registre mais a toujours besoin de sens, c’est-à-dire en l’occurrence d’une remise en perspective dans un contexte élargi. Or il existe déjà pour ce faire un cadre qui concerne quasiment tous les lycéens des filières générales, technologiques ou professionnelles, celui des programmes officiels d’histoire et de l’étude de la Seconde Guerre mondiale.

Laissons donc aux enseignants d’histoire-géographie leur autonomie pédagogique dans leur façon d’aborder l’enseignement de la Résistance : nombreux sont ceux qui s’appuient déjà sur ces dernières lettres de fusillés dont un recueil récent offre un large choix et permet une utilisation approfondie seule à même de dépasser le registre émotionnel, avec des lettres complémentaires à celle de Guy Môquet dans lesquelles certains de ces «héros» reviennent sur les raisons de leur «entrée en résistance» (Guy Krivopissko, La vie à en mourir. Lettres de fusillés (1941-1944), Paris, Tallandier, 2003). Seul le cadre de cet enseignement structuré permettra d’aborder l’histoire dans sa complexité et de ne pas en rester à sa caricature voire à son déni, la reconstruction d’un passé «sans histoire» défendue par Nicolas Sarkozy.

Par Pierre Schill professeur d’histoire-géographie à Montpellier.

Texte de la lettre de Guy Môquet

Ma petite maman chérie,

mon tout petit frère adoré,

mon petit papa aimé,

Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi.

Certes, j’aurai voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. Je n’ai pas eu le temps d’embrasser Jean. J’ai embrassé mes deux frères Roger et Rino [1]. Quant au véritable je ne peux le faire hélas !

J’espère que toutes mes affaires te seront renvoyées, elles pourront servir à Serge, qui je l’escompte sera fier de les porter un jour.

A toi, petit Papa, si je t’ai fait, ainsi qu’à petite Maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée. Un dernier adieu à tous mes amis et à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie bien pour être plus tard un homme.

17 ans et demi ! Ma vie a été courte !

Je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous.

Je vais mourir avec Tintin, Michels [2].

Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine. Je ne peux pas en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi Maman, Serge, Papa, je vous embrasse de tout mon cœur d’enfant.

Courage !

Votre Guy qui vous aime

[1] Roger et Rino sont des "frères" de combat militant.

[2] Tintin désigne Jean-Pierre Timbaud. Michels, c’est Charles Michels, tous deux seront exécutés avec Guy.

 Au visiteur arrivé par hasard au bas de cette page, nous offrons, en guise d’association libre, L’affiche rouge, poème d’Aragon, qui fait référence au "procès des 23 (*)" de l’Affiche Rouge. 22 personnes furent exécutées au Mont-Valérien le 19 février 1944. Parmi elles, le poète Missak Manouchian qui a également laissé une dernière lettre, dont on retrouve des thèmes dans le texte d’Aragon. Olga Bancic, quant à elle, fut guillotinée le 10 mai 1944, jour de son trente-deuxième anniversaire.

L’affiche rouge

Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre

Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

 

 
(*) Celestino Alfonso (espagnol), Olga Bancic (roumaine), Joseph Boczov (roumain), Georges Cloarec (français), Roger Rouxel (français), Robert Witchitz (français), Rino Della Negra (italien), Spartaco Fontano (italien), Césare Luccarini (italien), Antoine Salvadori (italien), Amédéo Usséglio (italien), Thomas Elek (hongrois), Emeric Glasz (hongrois), Maurice Fingercwajg (polonais), Jonas Geduldig (polonais), Léon Goldberg (polonais), Szlama Grzywacz (polonais), Stanislas Kubacki (polonais), Marcel Rayman (polonais), Willy Szapiro (polonais), Wolf Wajsbrot (polonais), Arpen Lavitian (arménien), Missak Manouchian (arménien).