Pour répondre à cette question, une remarque préalable s’impose : pour autant qu’il s’agisse d’une relation entre deux sujets, pas moyen de s’occuper du psychisme d’un autre, sans y être impliqué avec le sien propre. La différence d’avec, par exemple, l’étude scientifique du cerveau ou la connaissance des concepts est à cet égard frappante. S’occuper du psychisme de l’autre ne se fait qu’à partir du psychisme du “thérapeute” et en aucun cas, ce dernier ne peut s’abstraire entièrement de la relation intersubjective.
Pourtant, c’est à cet endroit précis que prétend opérer le psychanalyste : non qu’il veuille ou qu’il pense lui pouvoir échapper à cette contrainte, mais parce que tout le travail de sa formation va avoir comme objectif – asymptotique, donc sans jamais y parvenir totalement – de lui permettre de maintenir suffisamment l’écart entre sa propre subjectivité et ce qu’il vient à représenter pour l’autre.
Voilà pourquoi la formation du psychanalyste suppose comme condition première d’avoir d’abord consenti soi-même au travail d’une psychanalyse. Les connaissances, le savoir, les diplômes, les formations acquises par ailleurs – être médecin, psychologue ou philosophe, juriste, …- tout cela est certes important mais cède le pas devant cette exigence fondatrice incontournable.
Mais il faut s’entendre, il ne s’agit pas ici d’une sorte de stage exigé, ni même d’un parcours qui se voudrait initiatique ; il s’agit du ressort fondamental de la formation, à savoir l’exigence de remettre sans cesse sur le métier ce discernement entre ce comment je suis impliqué par ce que l’autre m’adresse et ce comment je lui permets de repérer ce qui l’anime. D’un côté donc, le psychanalyste doit se laisser atteindre par ce que dit l’analysant, de l’autre, il doit s’en décaler pour pouvoir amener l’analysant à identifier ce qu’il lui adresse.
Et cet incessant travail dans l’ombre du divan qui est exigé du psychanalyste est aussi inéluctablement entravé par sa résistance à se départir de son propre fonctionnement psychique. D’où que c’est parce que ce travail est continuellement exigé de la part de l’analyste dans le déroulement d’une cure, et parce qu’à chaque patient, il doit complètement revisiter sa capacité à faire un tel discernement, qu’il arrive souvent qu’un analyste soit amené à refaire un – ou même plusieurs – nouveau parcours d’analyse pour lui-même. C’est aussi la raison pour laquelle, il fréquente avec une assiduité parfois déconcertante pour les autres disciplines, les colloques, les lectures, et les petits groupes de travail avec des collègues. Toutes façons de maintenir cette exigence sur la brèche, au plus vif, et toujours dans l’échange avec d’autres psychanalystes à même de débusquer là où il faiblit dans l’écart à maintenir.
C’est la raison pour laquelle, depuis plus d’un siècle, la psychanalyse a pu se maintenir vivante et inventive, et cela malgré les incontournables mouvements d’entropie qui grèvent toujours toute discipline. C’est aussi la raison pour laquelle, il peut être avancé que la psychanalyse est une des formations les plus exigeantes qui soit et qui en aucun cas, ne peut se ramasser dans un cursus minimal. C’est aussi la raison pour laquelle la formation du psychanalyste n’est pas équivalente à celle d’un psychothérapeute. Ce dernier doit aussi habituellement d’abord consentir à se soumettre lui-même au type de travail qu’il envisage pour d’autres et à cet égard, l’exigence est identique. Mais une fois la méthode éprouvée et apprise, la formation est acquise ; reste bien sûr à la peaufiner mais ce n’est pas son os que de la mettre au coeur même de la poursuite du travail.
Namur, le 15 janvier 2005