La dépression constitue le trouble psychique le plus répandu : il constitue 50% des cas de consultation psychiatrique et de 20 à 30 % des consultations chez les médecins généralistes où les patients consultent pour des troubles fonctionnels divers, selon les statistiques de l’Organisation Mondiale de la Santé. Cela s’explique par le fait qu’il existe un très large éventail de troubles dépressifs de sévérité croissante.

A l’extrémité la plus bénigne du spectre se trouve le deuil, qui est un état dépressif clinique normal (tristesse, baisse de l’auto-estime, difficultés à avoir du plaisir, troubles du sommeil, de l’alimentation, de la concentration, etc.) découlant de la mort ou de la perte définitive d’une personne très significative et très investie. Normalement, il s’agit d’un état dépressif réversible au terme de six à douze mois. Toutefois cette évolution normale ne peut se faire qu’en fonction de la possibilité de la personne d’élaborer la conflictualité dépressive infantile réactivée par ce deuil,

Sans entrer dans l’analyse des divers niveaux de la conflictualité dépressive et des possibilités de son élaboration, je voudrais préciser, partant du deuil, les autres formes de dépression clinique pour aboutir à la description de la plus sévère, la mélancolie.

Les manifestations dépressives classiquement qualifiées de « névrotiques » se traduisent par la mobilisation de mécanismes de défenses psychiques spécifiques et de symptômes névrotiques, principalement phobico-anxieux ou obsessionnels. Ces symptômes s’ajoutent aux manifestations décrites plus haut pour le deuil normal.

Toutefois la majorité des états dépressifs cliniques sont des dépressions majeures, qui s’accompagnent souvent d’idées de suicide. Dans ces cas, les défenses névrotiques ne suffisent pas et la personne doit faire recours à des mécanismes de défense maniaques et masochiques, responsables de certains troubles bipolaires (ce sont des épisodes hypomaniaques alternant avec des épisodes de type dépressif).

Enfin, à l’autre bout du spectre se situent les dépressions mélancoliques ou psychotiques, bien moins fréquentes, mais cliniquement très spectaculaires. Les épisodes mélancoliques alternent souvent avec des épisodes de type maniaque graves : c’est ce qu’on nommait classiquement les « psychoses maniaco-dépressives », qui constituent actuellement les troubles bipolaires sévères.

Ce fut le génie de Freud de décrire le mécanisme dynamique responsable de la mélancolie par rapport à celui du deuil, c’est-à-dire de comprendre les manifestations les plus pathologiques par rapport aux réactions normales, telles qu’elles apparaissent à la suite d’une forte rupture. Dans le deuil, avec l’écoulement du temps, la personne renonce progressivement aux liens avec l’être ou la situation qui provoque des sentiments douloureux : elle peut alors réinvestir l’énergie qui s’en libère dans de nouvelles relations ou de nouveaux projets. Freud décrit au contraire la personne mélancolique comme étant incapable d’accepter la perte ; il explique que « l’ombre de l’Objet est tombée sur le Moi » chez le mélancolique, afin de mettre en évidence le déni de la réalité de la perte. En simplifiant, on pourrait dire que ces personnes choisissent inconsciemment des solutions morbides comme pour suivre dans la mort ce dont elles ne peuvent se séparer, ayant échoué à recréer symboliquement à l’intérieur d’elles-mêmes ce qu’elles ont réellement perdu. Ainsi la mélancolie apparaît comme une dynamique intrapsychique très destructive, ce qui en fait une dépression psychotique.

Genève, octobre 2007

Palacio Espasa a publié Dépression de vie, dépression de mort (Erès, 2003),