« Essayez de dire le plus librement possible ce qui vous passe par la tête ». Cette « règle fondamentale » de l’analyse est aussi indispensable que utopique, impossible à être suivie à la lettre.

Premièrement, nous pensons plus vite que nous ne parlions. Le plus souvent, avant que je ne termine ma phrase, je pense déjà à autre chose, au moins à la phrase suivante, peu importe si je suis en analyse ou pas. Mais ce n’est pas seulement le décalage entre la rapidité de la pensée et la lenteur relative du discours qui fait que la règle fondamentale reste une utopie.Nous sommes habitués, depuis l’enfance,  à moduler tout ce que nous exprimons en fonction de celui qui se trouve en face de nous. Nous tenons compte de sa situation affective, de sa position par rapport à nous, d’une éventuelle relation de pouvoir, de notre souci de vouloir avoir un effet précis sur lui. Pour ces raisons, nous n’exprimons quasiment jamais librement ce qui nous passe par la tête et ce retenu assure le maintien de nos relations sociales et protègent nos amours et nos amitiés. En plus, tout en nous plaignant des contraintes de la vie, l’être humain n’aime pas la liberté. Très souvent, nos patients viennent nous voir dans l’espoir que nous les « guidons », par exemple avec des questions et des conseils, et l’analyste est considéré « supposé savoir ».

Pour toutes ces raisons, dans un premier temps, la « règle fondamentale » peut ainsi sidérer ! Mais elle signifie à l’analysant que ses questions et les réponses à ses questions évolueront surtout suite à la trame de sa propre pensée.

Je suis toujours très impressionnée de voir comment, déjà dans un tout premier temps d’une analyse, la personne, en essayant tout simplement de suivre au mieux cette règle utopique, fait des découvertes insoupçonnées puisque cette association libre favorise la levée du refoulement. Je pense à cet homme qui porte en lui l’image d’une mère dominée par son mari, n’ayant pas la force de s’opposer au style autoritaire dont celui-ci éduque les enfants ; au début, il évoque surtout une mère effacée, extenuée, une vraie « victime » du père. En séance, associant sur le miaulement d’un chat qui nous parvient de loin, il se souvient d’avoir vu sa mère, dans le jardin de la maison de son enfance, jeter une grande bûche sur deux chats copulant. Ce souvenir retrouvé, grâce à l’association libre, témoigne d’une capacité propre de sa mère à la violence et ouvre à l’analysant la voie vers un important réaménagement de sa vision de la relation de ses parents, vision qui l’avait inhibé dans sa relation aux femmes qu’il avait toujours vues comme « victimes » potentielles de lui-même.

L’association libre permet de comprendre les liens inconscients qui se sont tissés au cours d’une vie entre les mots, les affects, les représentations, les fantasmes d’une personne. Décortiquer, comprendre et dénouer ces liens est la tâche à accomplir en commun entre analyste et analysant. L’invitation à l’association libre est aussi l’élément qui distingue le plus clairement la psychanalyse et la psychothérapie : la position sur le divan, à l’abri du regard de l’analyste, empêche l’analysant de guetter les réactions de ce dernier et favorise ainsi sa liberté associative qui, au juste, est une liberté de pensée tout court.

Bruxelles, le 8 décembre 2005