Dans ce temps que caractérise une tentative outrancière de réglementation de l’impossible, c’est l’intime que l’on cherche à soumettre à la folie administrative selon des critères de gestion industrielle. Ce texte s’adresse à tous ceux qu’inquiète la perspective de voir la psychanalyse vérifiée et contrôlée.
La situation actuelle semble s’organiser autour d’un savoir de maîtrise qui fait rupture avec les enseignements d’une histoire et d’une tradition reconnaissant à l’homme une part de mystère inaliénable. Nous pouvons aujourd’hui repérer les effets d’une telle rupture démultipliés par l’inquiétude de notre modernité. Pourtant, nous devons convenir que ni les tentatives d’encadrer la pratique de la psychanalyse, ni les tentatives d’en détourner la nature par des dilutions successives ou d’en masquer la cohérence par des assimilations diverses ne sont des éléments nouveaux. Ce que l’acte analytique touche de la relation humaine expose celui-ci, de façon récurrente, à ces tentatives que viennent facilement animer les volontés d’oubli.
Dès les premiers temps de la psychanalyse, tout espoir visant à trouver un accord ou cherchant à réunir l’ensemble des praticiens a été un échec. Les ruptures, les scissions se sont répétées et le paysage actuel, constitué d’un nombre important d’associations, témoigne de ce fait. Il semble exclu que l’on puisse les mettre toutes autour d’une même table. Cela peut être jugé préjudiciable mais nous devons l’admettre. Plus d’un siècle de référence nous a conduit à considérer l’impossibilité de penser la psychanalyse en termes collectivisables. Ni la formation, ni la théorie, ni même l’appartenance à une association ne sont les conditions d’existence de l’acte analytique. La formation sanglée dans les marques obligées d’un parcours pré-défini, la théorie offerte dans un semblant d’idéal peuvent nourrir l’illusion d’une homogénéisation de la chose analytique. Cette illusion peut se forger tout autant dans l’appartenance à une association que celle-ci soit petite ou grande, qu’elle soit de type familial ou qu’elle fasse place à une organisation plus démocratique. Si ces trois origines sont toujours activées lors des essais renouvelés de produire un bien commun, en aucun cas il ne se trouve vérifié qu’elles puissent être les garantes qu’un acte soit un acte analytique.
Un acte analytique se définit d’abord par la règle fondamentale qui fait accueil au “ce qui vient à se dire”. Ce cadre impose que soit assuré le secret, sans restriction aucune, de ce qui se trouve ainsi révélé. De la même façon, il doit être assuré que l’ouverture de cet espace d’énonciation se développe hors du contrôle et de la surveillance qu’induisent les idéaux. Il s’agit bien, pour le praticien, de ne pas mettre en jeu un savoir préexistant et d’accepter toutes les organisations de pensées y compris celles contraires à son propre idéal d’analyste. C’est cette liberté d’association qui organise la responsabilité du lien ainsi mis en jeu. Cette responsabilité engage donc deux parties l’analysant et l’analyste.
Un temps est nécessaire à cette mise en jeu. C’est celui qui conduit une plainte ou une souffrance à formuler sa demande. C’est celui au cours duquel se déploie le plus souvent une fiction médicale ou une fiction de savoir. La demande se pare des attraits de la maladie ou de l’ignorance. Cette période préliminaire est de durée variable. Elle peut être longue et même s’interrompre au moment même où elle pourrait aboutir à produire un analysant. Il peut s’y constater des effets que certains pourront nommer psychothérapiques. Mais c’est l’acceptation de prendre en compte la part qui est la sienne dans le malheur dont il se plaint qui va faire d’un individu-sujet un analysant.
L’analysant, à qui l’on doit un anonymat, demeure en position centrale et, à ce titre, ne saurait être considéré autrement que comme responsable et partie prenante de cet acte de parole. Dans ce sens, une psychanalyse ne peut être prescrite, imposée ni suggérée par un tiers. Elle suppose une mise en jeu de celui qui restera le seul à pouvoir affirmer s’il y a eu ou non pour lui de l’analyse dans l’aventure où l’engage sa démarche. Une telle démarche ne saurait en retour être figée par la complaisance qu’il y aurait à installer le demandeur dans une place infantilisée de victime ou dans une place de malade.
L’autre partie, en conséquence, qui ne saurait être repérée qu’au seul titre du lieu de l’analyste, trouve sa responsabilité dans la liberté qu’il incarne à assurer ce passage à l’analysant. Mais il ne saurait trouver sa fin à substituer la fiction de l’analyste à celle du médecin. Il se doit d’incarner le toujours possible d’une nouvelle fiction, de rester attentif à ne point clore la dynamique fictionnelle dont les productions restent aux couleurs de la singularité. Il n’y a pas à atteindre de but, à se parer de ressemblance. L’analyste y tiendra sa place jusqu’au moment dont conviendra l’analysant pour le réduire à un reste. Ce reste devrait se limiter à ce qui subsiste de radicalement impossible : un être qui ne soit pas de fiction.
Ces éléments imposent à la fois des conséquences et des exigences.
– Il ne saurait y avoir de garantie universitaire ou professionnelle de l’offre analytique puisque celle-ci doit avoir l’exigence de ne rien anticiper d’une histoire que ne sauraient borner les limites inhérentes aux formes espérées d’un idéal de bonheur promis ou celles que sait si bien imposer la théorie scientifique lorsqu’elle définit les standards. La psychanalyse ne peut venir servir les expertises, les orientations ou les sélections. La spécificité de son acte la lie au temps de son geste.
– Il ne saurait y avoir de contractualisation de l’acte analytique visant à prédéterminer la forme aboutie de la démarche engagée, que cette contractualisation soit construite sous la forme d’un projet, d’une durée ou d’une tarification établis par avance. Les attendus de toutes les formes d’assurances sociales ou mutualiséees se fondent sur du préalable. La justification même du contrat est de prévoir, de dire par anticipation ce que devront être la forme, le contenu et le résultat. La psychanalyse ne peut y trouver sa place.
– L’accueil fait à la demande ne saurait inscrire le symptôme dans une grille de type médical. Il l’inscrit dans un registre fictionnel qui exclut toute évaluation, estimation et codification qui seraient référées à une démarche diagnostique mais qui n’exclut nullement l’élaboration critique de l’expérience obtenue. Ce qui se trouve ainsi exclu est l’accréditation que réclame toute demande initiale. Y accéder engagerait cette demande dans une impasse et témoignerait d’un oubli ou d’une méconnaissance : évaluation, estimation, codification ne sont que des fictions parmi tant d’autres. Les psychiatres, les psychologues ou les psychothérapeutes y sont confrontés de façon très active mais cette confrontation n’épargne ni les médecins ni les philosophes ni les éducateurs…
– Il apparaît ainsi que la psychanalyse ne saurait être considérée autrement que comme une œuvre de l’esprit dont il n’y a pas d’administration préalable. Tout au plus le ministère de la culture lui serait une meilleure terre d’asile que le ministère de la santé. Mais dans la mesure où la culture prendrait en compte la souffrance psychique, jusque dans ses formes les plus extrêmes, comme symptôme de l’humain dans le rapport conflictuel qui lie cet humain à sa langue et à son histoire et non plus réduite à une pathologie modélisable dans le champ médical.
Faut-il souligner que la plainte humaine ou la souffrance, comme tout appel ou oraison, sont des termes recevables dans le champ de la psychanalyse ? Sortir du champ médical n’est pas tomber dans une pratique élitaire ou ségrégative. Ceux qui déclarent s’exposer à la fonction d’analyste ne sont nullement des adeptes du passe-droit qui s’excluraient du domaine d’organisation conflictuel auquel chaque humain est confronté. Ils soutiennent que leur pratique ne peut être réglée par anticipation et que nul n’échappe à ce que leur quotidien leur impose : il y a un lieu de l’humain qui ne souscrit à aucun préalable.
Nul texte ou législation ne saurait en protéger.
Ce texte a été rédigé en octobre 2003 par des analystes inscrits aux Cartels Constituants de l’Analyse Freudienne