Dans la même entreprise, trois employés sont en butte aux mêmes frustrations professionnelles. Pour mieux supporter sa situation, le premier s’imagine en chevalier terrassant des dragons ou en résistant sauvant des enfants pendant la dernière guerre : il « rêvasse ». Dans la rêvasserie, le vagabondage des pensées n’a en effet aucun lien ni avec le passé, ni avec le présent, ni avec l’avenir du sujet. Il n’est qu’une façon de s’évader d’une réalité présente – ou du souvenir douloureux d’une réalité passée – au risque de se complaire dans des rêveries stéréotypées et compulsives qui consomment l’énergie psychique du sujet en pure perte.
Le second imagine qu’il est devenu le patron de l’entreprise et qu’il accorde plus de respect aux employés : il met en scène un accomplissement de désir, on peut dire qu’il rêve bien qu’il soit parfaitement éveillé. La rêverie met en scène des scénarios qui impliquent les différentes personnes qui constituent son entourage, et ses figures intériorisées. Une rêverie a d’autant plus de chances de se trouver liée à la réalité que l’on est capable de l’interrompre et d’en prendre conscience.
Enfin, le troisième se demande concrètement comment réclamer une augmentation, ou quelle formation professionnelle entreprendre pour changer sa situation. L’imagination est centrée sur la transformation de sa vie réelle. C’est par exemple le cas lorsqu’on invente un dialogue imaginaire avec quelqu’un pour se préparer à ce qu’on souhaite 
Or ces trois catégories d’activité psychique – rêvasser, rêver et imaginer – rendent parfaitement compte des diverses formes de relation qu’un joueur peut avoir avec son jeu vidéo,
Commençons par la rêvasserie. Celui qui joue ainsi est totalement dissocié à la fois de sa vie et de son imagination. Il a l’illusion que sa vie est toujours pleine, se cache à lui-même cette situation par la pratique de jeux compulsifs et obsessionnels solitaires. Pour ceux qui ne jouent pas aux jeux vidéo, il peut s’agir des mots croisés ou de parties solitaires de « réussites » aux cartes. Le problème est que tôt ou tard, ces personnes sentent que les gens qui attendent quelque chose d’elles sont déçus. Et le risque est qu’elles finissent par se décevoir elles-mêmes. La honte est parfois au rendez vous. Et cette honte peut les amener à rétrécir encore plus leur univers au jeu vidéo, dans un cercle vicieux sans fin.
La rêverie trouve elle aussi un support et un équivalent dans la pratique des mondes numériques. Elle se caractérise par le fait d’être en lien avec la réalité, mais sans projet de transformation du monde. Elle met en scène des scénarios de désirs où l’environnement réel est figuré, mais sans que le rêveur ne cherche à leur donner un début de réalisation dans sa vie concrète. Les performances exceptionnelles permises par les espaces virtuels permettent, selon les cas, de prendre la place d’un rival symbolique, de séduire une figure maternelle ou paternelle, d’agresser un personnage en situation fraternelle, de lui venir en aide, etc. Cette façon de jouer peut retrancher provisoirement le joueur de la vie sociale, mais, à la différence de la précédente, elle ne le retranche pas de sa vie psychique. Et elle peut même constituer pour lui une façon de se familiariser avec celle-ci, d’en renforcer certains aspects et d’y prendre solidement pied pour dépasser certaines difficultés, ou sortir de l’adolescence.
Enfin, le joueur peut utiliser les mondes virtuels comme des espaces potentiels au sens où en parle Winnicott (1970). Son jeu témoigne de sa vie psychique, et il est aussi un lieu d’échanges réels, voire de convivialité. C’est le cas du joueur qui joue avec des partenaires qu’il connaît, et qui les retrouve régulièrement. Comme dans la rêverie, les enjeux symboliques sont très importants dans sa façon de jouer, mais ses liens dans la réalité le sont aussi. Certains de ces joueurs sont des adolescents qui passent plus de quatre heures par jour sur leurs jeux vidéo, c’est-à-dire qui peuvent être considérés selon les critères classiques comme « joueurs excessif », mais qui ont par ailleurs une bonne socialisation. Ces joueurs ne sont pas problématiques, et encore moins pathologiques. Ils sont des joueurs excessifs normaux qui jouent de façon à enrichir leur vie, alors que les joueurs pathologiques jouent d’une façon qui appauvrit la leur et les engage sur la pente de l’isolement et de la désocialisation.