Rêver avec Freud : l’histoire collective de « l’Interprétation du rêve » (Aubier Psychanalyse, 2009) de Lydia Marinelli (Auteur), Andreas Mayer (Auteur), Dominique Tassel (Traduction)
L’histoire de la « Traumdeutung » (L’Interprétation du rêve), ce livre fondateur de la psychanalyse publié en 1899 par Sigmund Freud, rejoint finalement celle de son objet : pluriel, chaotique, angoissant ou jouissif, tantôt confus, tantôt d’une précision millimétrique, aussi « unheimlich » que la psyché qui l’élabore, le rêve subit toutes sortes de remaniements qui accompagnent souvent la progression d’un travail analytique. Il intègre de nouveaux personnages, en exclut d’autres, ajoute ou retranche une séquence à un scénario que l’on croyait pourtant définitivement scellé. Au point de pouvoir transformer la catastrophe récurrente de la dernière scène en « Happy End » idyllique ou, plus rarement, de faire soudainement chuter le rêveur de Charybde en Scylla. Cela dépend de l’analyste !

« Rêver avec Freud » est à ce prix. Si l’on a bien saisi le sens de ces quelques lignes, la lecture de cette « Histoire collective de l’Interprétation du rêve » rédigée par Lydia Marinelli, historienne de la psychanalyse malheureusement décédée en 2008 et par son collègue sociologue, Andreas Mayer, doit couler de source. Elle devrait, par surcroît, passionner tout lecteur exigeant et désireux de comprendre l’environnement historique, humain et affectif, des différentes « Traumdeutung », de sa parution initiale au tournant du siècle à la huitième et dernière édition de 1930.
Avec, en toile de fond, une problématique que Freud ne chercha nullement à occulter : alors que la version originale repose sur l’autoanalyse des rêves du découvreur de l’inconscient, laquelle est supposée faire œuvre pédagogique et doctrinale de la psychologie des profondeurs, « l’interactivité permanente » entre l’auteur et « son public de disciples, de critiques, de collègues et de patients », ne risquait-elle pas de corrompre le fil d’Ariane de la pensée freudienne, d’altérer la démarche scientifique nécessaire à la reconnaissance de la nouvelle discipline et de perturber le développement parallèle d’un mouvement psychanalytique naissant ?
D’où le parti pris plutôt convaincant des deux auteurs d’étudier, au travers de « trois phases », « l’Interprétation des rêves » sous l’angle des « fonctions diverses occupées à chacun des stades de son histoire » : celle d’une « Traumdeutung » comme « premier manuel de psychanalyse » à l’usage de tout un chacun, sa transformation à partir de la troisième édition de 1911 en « dictionnaire des symboles » par les multiples contributions des collaborateurs freudiens du moment, son « autohistoricisation décrétée par Freud » comme un retour aux sources pour la toute dernière édition. Celle-ci servit d’ailleurs à « la plupart des éditions allemandes ultérieures ». Entre temps, le père de la psychanalyse aura confirmé à Abraham A. Brill  dans une lettre du 2 juin 1913 qu’il tenait son ouvrage pour « intraduisible ».
Sur celles et ceux qui apportèrent de l’eau au moulin du rêve freudien, aucune mention de Minna Bernays comme auraient pu s’y attendre quelques exégètes du freudisme. En revanche, les auteurs mentionnent le frère cadet de Freud, Alexander, et son « manuscrit critique » non publié dont le texte figure en annexe du présent ouvrage. Des annexes qui comprennent également « sept lettres » -des demandes d’interprétations de rêves- envoyées au « Professeur » par Eugen Bleuler, directeur de la célèbre clinique suisse du Burghölzli à partir de 1899. Elles montrent l’existence d’une correspondance entre la future Ecole de Zürich et celle de Vienne, avant même l’entrée en scène de C.G. Jung. De la même école zurichoise, les deux auteurs retiennent également une correspondance très intéressante du clinicien Alphonse Maeder lequel critique Freud pour son approche « paternaliste » et surtout « sémitique » de la psychanalyse, thèse annonciatrice des futures dérives jungiennes en la matière. La contribution de Otto Rank, ajoutée en 1914 et éliminée dans la huitième version de 1930, conclut ce riche appendice de sources textuelles. D’un travail aussi minutieux, on s’étonnera de la singulière omission d’un index et, surtout, d’une bibliographie, élément pourtant essentiel dans la recherche de Lydia Marinelli et Andreas Mayer. Une critique qui ne saurait toutefois dispenser d’une recommandation : celle d’acquérir un ouvrage dont la parution témoigne du fait que, malgré toutes les publications sur la psychanalyse, les mystères du « rêve freudien » ne sont pas encore complètement élucidés.
Nice, le 9 novembre 2009