23 mai 2007 | Etats généraux de la clinique

Après la disparition de la psychopathologie et de la psychanalyse de la formation des psychiatres, au profit de modélisations neurobiologiques et comportementalistes, c’est celle des psychologues cliniciens qui est aujourd’hui clairement visée par les instances d’habilitation de leur formation. Depuis plusieurs années, les universitaires qui ont en charge cette formation voient s’étendre dans l’appareil de l’Etat la volonté de domination des partisans de l’éviction de la psychanalyse et de la psychopathologie, à tous les niveaux des organisations qualifiantes de l’enseignement et de la recherche.

La nouvelle configuration qui a émergé récemment ne laisse plus de doute sur cette volonté qui ne s’embarrasse plus de faux-semblants. C’est la dernière étape d’une course contre la montre dont le terme, à brève échéance, devient prévisible. En même temps, dans les institutions de soin, nous constatons que la présence de la psychanalyse est l’enjeu d’une lutte dans laquelle les simulacres gestionnaires, l’ingénierie de l’évaluation, la médicamentation systématisée et exclusive, les dispositifs d’isolement des symptômes et de leur traitement expéditif, font une chasse réglée à la clinique de la subjectivité. Ici et là, nous assistons régulièrement à des écroulements locaux qui résultent soit de stratégies de harcèlement et d’épuisement des équipes, soit de neutralisations foudroyantes par ingestion ou dispersion. La psychanalyse n’a pas à faire seulement à des détracteurs, mais à une convergence de processus de démolition. Ce n’est plus le temps des signes assassins, mais des actes et des machines qui avancent à tombeaux ouverts.

Devant cette situation, les praticiens dans les institutions de soin psychique, et les universitaires qui forment les générations futures et maintiennent la présence exigeante de la psychanalyse dans les institutions de la recherche publique doivent faire converger leurs résistances et passer à l’invention offensive. Ils ne peuvent plus se contenter de boucher au coup par coup et dans l’isolement, les forages et les excavations de leurs sols. Il n’y a plus de crise, mais des circuits intégrés de situations limites. La férocité industrielle des appareils a des noms : dépistage précoce, troubles de conduites, héritabilité génétique, facteurs de risque, facteurs prédictifs, isolation des symptômes, co-morbidité, dressage de comportement, indice d’impulsivité, rééducation psychothérapique, thymorégulateur, expertise, évaluation, sécurité psychique, etc. Le maillage des populations vulnérables réduites à l’usage de leur malheur s’étend chaque jour davantage. La standardisation des ratages de la condition humaine en une nomenclature des handicaps habite désormais des maisons sanitaires. Le dénuement social est promis à l’épuration policière ou masqué par des kits de pathologie des comportements. Les logomachies s’ingénient à voiler la massification de l’humain et la marchandisation du vivant. Acceptons-nous de déambuler parmi « les décombres du futur » ?

À un certain moment, face à ce qui arrive, le refus qui se cantonne dans l’expression critique est vain. La seule dénonciation des ennemis est dérisoire. Les lamentations nostalgiques prônant la restauration du monde d’hier est pitoyable. Le scoop du malaise dans la culture est largement usé. Nous avons tous conscience que nous sommes dans un mouvement extrême du temps, de ce qu’on appelle un changement de temps. Cela signifie qu’il ne s’agit pas d’aberrations ou de dérives à corriger, mais de la subordination de la souffrance et du bien-être psychique à de nouvelles représentations et de nouveaux dispositifs de gouvernance dans lesquelles la psychanalyse ne sera que résiduelle ou nébuleuse. La porosité de la sphère politique à ces représentations, l’influence qu’elle subit du fait de groupes interconnectés d’une voracité utilitaire naïve, indiquent assez que la solution ne viendra pas des gouvernants qui ont contribué à cette évolution.

Il faut donc un rassemblement à la mesure de la gravité de la situation, afin de répondre à ce défi du passage d’un temps à un autre. Le refus rigoureux et déterminé, celui qui rend solidaire, passe par le partage d’analyses qui explorent les dérèglements et les combinaisons émergents, par la mise en commun d’actions et d’expériences vers de nouvelles pensées de résistance, par la création d’un collectif permettant de faire obstacle à la politique de la liquidation de la clinique dans les institutions de soin et de formation.

En tant que praticiens, formateurs, chercheurs et universitaires, nous appelons dans un premier temps nos collègues à joindre leurs signatures à ce Manifeste pour une convergence des résistances.

Nous proposons d’amorcer la préparation d’états généraux de la clinique, à travers une première réunion qui aura lieu à Paris, le samedi 30 juin 2007, et qui sera accueillie par le Séminaire Inter-Universitaire Européen d’Enseignement et de Recherche en Psychopathologie et Psychanalyse (SIUEERPP).

Texte à signer individuellement et collectivement sur le site :

http://www.sauvons-la-clinique.org/