Internet a dorénavant son miroir : Second Life. Mais cet espace virtuel, persistant et partagé, qui promet à ses usagers « l’extase d’une vie échappant à tout contrainte », n’est pas seulement un gigantesque supermarché du conformisme, y compris sexuel. Il est aussi une usine à transformer à notre insu notre subjectivité. Car c’est bel et bien notre rapport aux autres, au réel et à nous mêmes que nous sommes invités à penser différemment aussitôt que nous y entrons. Tout ce qu’on y vit et fait échappe en effet aux catégories traditionnelles de la présence et de l’absence, du vrai et du faux et même du réel et de l’imaginaire, qui s’y trouvent comme liquidées. Nous ne savons jamais si nos interlocuteurs nous écoutent vraiment – sans parler de savoir avec qui ils se trouvent et ce qu’ils sont en train de faire -, l’épreuve de réalité y perd tout sens parce qu’elle est pratiquement impossible, la relation peut y être fuie à tout moment, sans donner ni raison ni adresse… Rien d’étonnant donc si le déni de la perte et le risque d’addiction y guettent. Un exemple y revient souvent, celui d’une ménagère qui a fait fortune en ouvrant une boutique de prêt à porter où elle vend ses créations numériques. On cite moins celui du travailleur au chômage qui préfère se contenter d’une aide sociale minimale et passer ses jours et ses nuits dans cette société virtuelle plutôt que de chercher à se réinsérer…
Quant à ceux qui souhaitent y développer leur créativité ou leurs relations intimes, il vaut mieux qu’ils sachent que cet espace est sous haute surveillance. Les gestes, paroles et créations de chacun sont observés et archivés par la société californienne Linden Lab, propriétaire du site, qui connaît bien entendu l’identité réelle de tous les usagers. Elle se réserve aussi le droit, à tout moment et sans aucune explication, de fermer votre compte, d’effacer votre avatar d’un simple clic et de s’approprier tout ce que vous avez créé !
Certains y apprécieront la représentation d’une démocratie protégée de tous les débordements extrémistes, d’autres y verront le cauchemar d’un monde dans lequel il est devenu impossible de changer les règles, mais où chacun est invité à se consoler avec l’infinie complexité des situations de proximité…