Ce texte est paru dans Libération le 30 mai 2007

Après l’Inserm et Sarkozy, c’est au tour de la Fondation MGEN d’inquiéter avec son questionnaire sur «la santé physique et mentale» des élèves.

On ne sait sur quel (mauvais) conseil la Fondation MGEN – Mutuelle générale de l’Éducation nationale – s’est appuyée pour diffuser dans les écoles parisiennes son enquête «psychosociale» visant à «cerner les facteurs d’amélioration et de détérioration de la santé physique et mentale» des élèves ( Libération du 23 mai).

Morceaux choisis, à remplir par l’enseignant :

L’enfant :

– Est-il agité, turbulent, hyperactif, ne tient pas en place… ? Réponses : «pas vrai», «un peu vrai», «très vrai».

– Partage-t-il facilement ses friandises avec les autres… ?

– A-t-il au moins un ami… ?

Et vingt-quatre autres items du même registre.

Question finale : «Comparé aux autres élèves de la classe, le fonctionnement intellectuel de l’enfant est : très faible, faible, moyen ou fort.» Les psychologues qui ont patiemment appris à interpréter leurs examens psychométriques avec pondération et empathie apprécieront !

Un questionnaire homologue a été diffusé auprès des parents. Il tente maladroitement, en quelque quarante questions, d’explorer les antécédents psychologiques des parents et les habitudes de vie familiales.

Quelles que soient les intentions, le tollé soulevé (FCPE, enseignants) montre bien combien est devenue grande l’attention à l’encontre de tout ce qui peut apparaître comme tentative prédictive du comportement futur des enfants.

Le 30 avril, la Ville de Paris, partie prenante car chargée de la santé scolaire, suspend l’enquête, estimant que celle-ci est «mal comprise».

Il est vrai que ces initiatives sont d’autant plus rejetées qu’elles ne vont jamais sans de fortes intrusions dans l’intimité des familles.

Le rapport tendancieux de l’Inserm sur les troubles de conduite des enfants l’an dernier, le succès de sa contestation par la pétition «Pas de zéro de conduite pour les moins de 3 ans», l’avis sévère du Comité national d’éthique à son encontre restent donc bien proches et bien présents dans les esprits.

Même un débat, aussi mal engagé fût-il, comme celui dit de «l’inné et de l’acquis» a réussi à s’inviter dans la campagne présidentielle, preuve supplémentaire de la vigilance de beaucoup dans ce domaine.

Pourtant, la naïve enquête parisienne le prouve : la tentation, pour certains, de croire, ou de faire croire, à l’intérêt de telles démarches pseudo-préventives demeure.

Rappelons-le encore et encore : rien, absolument rien, ne vient solidement étayer l’hypothèse d’une prédictivité possible des comportements adolescents d’une éventuelle délinquance ou de soucis psychopathologiques avoisinants, à partir de simples repères du développement du jeune enfant. Il est, heureusement, impossible de prévoir l’avenir d’un gamin à travers un protocole standardisé recensant quelques éléments personnels ou familiaux. Il est par contre souhaitable, en cas de soucis ou d’inquiétude, de prendre conseil auprès d’un spécialiste ou d’une équipe médico-psychologique d’expérience : c’est le travail quotidien des équipes des CMP et CMPP (*).

On peut bien sûr recueillir des données… pour recueillir des données, et cette démarche n’est d’ailleurs pas obligatoirement aberrante : la médecine a parfois su en tirer le plus grand profit. C’est, par exemple, ainsi que les radiographies et les examens biologiques accumulés par l’armée américaine sur des générations entières depuis l’immédiat après-guerre ont pu jouer un rôle éminent dans la reconstitution de l’histoire du sida et la recherche du «patient 0».

Rien de tel ici, où l’a priori idéologique semble désormais trop flagrant : la bourgeoisie du XIXe siècle avait inventé les «classes dangereuses», nos scientistes nous préparent les maternelles potentiellement dangereuses. Science-fiction : par on ne sait quel raffinement méthodologique, au prix probable de quelque biais statistique, les apprentis sorciers touchent au but.

Que fait-on ? Faudra-t-il envisager un contrôle «psychosocial» étendu sur une large part de la population infantile… et donc des familles ? Qui s’en charge : policiers, magistrats, psys, éducateurs ? Il est vrai que, dans un autre cadre, furent déjà évoqués les maires et les travailleurs sociaux…

Ou bien faudra-t-il croire les docteurs Folamour qui entrevoient déjà des médicamentations psychotropes, extensives et… prophylactiques !

Le Dr Richard Horowitz est psychiatre au CMPP Gustave-Eiffel (Paris), président de la Fédération des associations nationales de CMPP (CMP : centre médico-psychologique. CMPP : centre médico-psycho-pédagogique.)