Tageblatt | 01-05-2006
"Si Freud fut un paria dans sa propre patrie, c’est à cause de ses origines juives et du caractère alors insolite de ses théories", affirme Alexandre Friedmann, psychiatre et membre du Consistoire israélite autrichien.
"L’antisémitisme était virulent dans la monarchie austro-hongroise à la fin du XIXe siècle et au tournant du XXe, notamment à Vienne" où Freud, juif non-pratiquant, a vécu 78 ans, ajoute-t-il.
Né en 1856 en Moravie, alors territoire de l’ex-empire austro-hongrois, Freud a fondé au début du XXe siècle à Vienne sa théorie sur la psychanalyse alors qu’Adolf Hitler découvrait dans la capitale l’"antisémitisme racial" dont il fera le pilier de son idéologie nazie.
Pour Christine Diercks, présidente de la Société psychanalytique de Vienne fondée par Freud en 1908, "il y avait certes un antisémitisme virulent à Vienne" à cette époque. Mais "Freud y a été reçu de manière ambivalente: la psychanalyse, qui faisait peur, a été rejetée et critiquée mais elle a aussi fasciné", estime-t-elle.
"Freud est venu avec de nouvelles idées qui ont brisé les tabous", observe Mme Diercks, ajoutant que "dans un monde à la morale victorienne, il fallait s’attendre à des réactions négatives".
"Au-delà de l’antisémitisme, l’hostilité envers Freud (en Autriche) peut aussi s’expliquer par la société conformiste et bourgeoise de l’époque, la psychanalyse ayant décrypté sa bigoterie", renchérit le Dr Friedmann.
Après un séjour à Paris, où il travaille en 1885 avec le neurologue français Jean-Martin Charcot, le "Napoléon des névroses", Freud rentre à Vienne où il est, pour la première fois, ouvertement confronté à la réprobation de ses thèses.
A une époque où l’hystérie est exclusivement imputée aux femmes, Freud tient en octobre 1886 devant la Société des médecins un exposé dans lequel il affirme que les hommes pouvaient également être atteints de ce trouble psychique.
Le scandale est total. Le jeune docteur établi à 30 ans comme praticien dans la capitale de l’empire austro-hongrois, est rejeté par ses pairs et par la société viennoise de l’époque.
En 1890, il publie néanmoins »L’interprétation des rêves» dans lequel il fonde sa théorie psychanalytique qu’il prolonge dans les années 20 avec sa théorie du "ça", du "moi" et du "sur-moi".
Inquiété par les nazis, il s’exile à Londres en 1938 après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne hitlérienne. Il meurt l’année suivante dans la capitale britannique.
"Freud a rompu avec un grand tabou de l’Eglise", explique encore le Dr Friedmann. "Dans un pays catholique qui voyait les enfants asexués, il leur a donné une sexualité dans laquelle il a vu l’origine des névroses des adultes".
Adulé en Occident, notamment après la traduction de ses oeuvres en anglais, Freud n’est accepté en Autriche seulement après la Deuxième guerre mondiale, rappelle-t-il.
"Aujourd’hui encore, Freud n’est pas applaudi partout et la psychanalyse est confrontée à des animosités", ajoute Mme Diercks. Notamment parce que "les gens souhaitent quelque chose de simple. Mais la psychanalyse est compliquée et elle ne fait pas des miracles", explique-t-elle.
L’Autriche a attendu jusqu’en 1971 pour lui ouvrir un musée dans l’appartement de la Berggasse où il a tenu cabinet pendant 30 ans. Dans les universités autrichiennes, la psychanalyse n’est toujours pas au programme obligatoire des études de psychologie.
Et à Vienne, aucune rue ne porte le nom de l’explorateur de l’inconscient alors que sa plus somptueuse avenue, le »Ring», porte celui de Karl Lueger, un maire (1897-1910) notoirement antisémite.