Elisabeth Berthou | Courrier international | 15-11-2005

Paru en septembre dans l’Hexagone, Le Livre noir de la psychanalyse(éd. Les Arènes) – sous-titré Vivre, penser et aller mieux sans Freud – a fait son apparition dans les librairies 

helvétiques.Et même si l’ouvrage se vend fort bien, le "caractère passionnel qui colore l’ensemble du débat français ne trouve pas d’équivalent en Suisse", constate Le Temps. Au demeurant, le journal rappelle que les "Suisses, avec les Français et les Argentins figurent parmi les plus gros consommateurs de psychothérapies diverses". Cependant, un modus vivendi s’est fait entre les différents courants ; ainsi, l’Institut universitaire de psychothérapie regroupe les tenants de la méthode psychanalytique (freudienne), des thérapies systémiques (centrées sur la famille) et des thérapies cognitivo-comportementales (les TCC) "dans un climat de collaboration fructueuse".

 

Le Livre noir, dénoncé, entre autres, par Elisabeth Roudinesco, l’historienne de la psychanalyse, comme étant un "livre d’éditeur" dans un commentaire apportant la contradiction et figurant sur le site Œdipe*, a été effectivement conçu par l’éditrice Catherine Meyer qui s’est entourée principalement de trois collaborateurs : Mikkel Borch-Jacobsen, Jean Cottraux et Jacques Van Rillaer. Le deuxième cité, psychiatre défenseur des TCC "convient volontiers de la violence du ton qui caractérise nombre des chapitres", remarque Le Temps. "Bilan d’un siècle de freudisme, Le Livre noir s’annonce comme une machine de guerre dirigée contre le camp retranché des psychanalystes, lesquels s’arrogent un monopole qu’il s’agit de leur arracher."

Les premières parties, "La face cachée de l’histoire freudienne" et "Pourquoi la psychanalyse a eu tant de succès", "sont des résumés de livres déjà publiés en anglais, en allemand ou en français et donc parfaitement connus des spécialistes de l’historiographie freudienne", prévient, de son côté, Elisabeth Roudinesco. Ces textes relèvent "les contradictions, les silences, les manipulations de cas dont Freud se serait rendu coupable", note quant à lui le journal suisse. Il s’agit là de "conclure à l’échec du projet thérapeutique déclaré du fondateur de la méthode : théorie et pratique ne convergent pas ; la psychanalyse est impuissante à guérir. Or, le sachant, Freud, en premier, et les psychanalystes, Lacan en tête, auraient retourné cet aveu en titre de gloire."

L’immense succès de la psychanalyse "serait dû à sa méthode d’écoute plus humaine que les traitements psychiatriques d’autrefois. Il serait aussi l’effet de son efficacité institutionnelle." Et surtout, selon le philosophe Borch-Jacobsen, de son caractère de "théorie vide" : "l’analyste peut faire dire à l’inconscient ce qu’il veut. Le système freudien dispose d’une explication pour tout et propose une clé de décodage universelle."

Le psychiatre Jean Cottraux, adepte des TCC, raconte "la montée de l’influence lacanienne après Mai 68, celle de Françoise Dolto, et comment s’est constitué le bastion tenu par la psychanalyse au détriment des ‘psychothérapies efficaces’." Il apporte comme preuve l’affaire du rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en 2004, qui "concluait à la faible efficacité des traitements psychanalytiques". "L’establishment analytique s’indigne, dénonce des manipulations dues aux comportementalistes. Le rapport est retiré sur décision du ministre de la Santé" (Douste-Blazy). Au final, les comportementalistes crient à la censure, note Le Temps.

Dans la troisième partie, "La psychanalyse et ses impasses", un reconverti de la psychanalyse, "le psychologue Van Rillaer, se charge de la ‘déconstruction’". Il remet en question "la prétention à soigner l’âme en profondeur qui distinguerait la psychanalyse des thérapies concurrentes, dénonce le jargon de ‘cuisine’, désormais utilisé consensuellement. Enfin, dans la quatrième partie, sont rassemblées "des histoires de victimes" de la psychanalyse, parmi lesquelles Anna Freud, Marilyn Monroe et… tous les enfants de France. Car "Françoise Dolto serait responsable de la crise de la famille occidentale, commente d’une plume acerbe, Elisabeth Roudinesco. Elle aurait rendu tyranniques et impossibles à éduquer la totalité des enfants d’aujourd’hui. Ses héritiers – Caroline Eliachef, Claude Halmos, Marcel Ruffo, etc. – ne seraient que les complices médiatiques de ce grand ratage éducatif."

En Suisse, "le climat autour de Freud, de ses disciples, descendants et détracteurs est nettement plus paisible", souligne Le Temps. "L’état des rapports de pouvoir explique pour une bonne part l’intensité des rivalités françaises." Le journal genevois laisse la parole à Anne Bourquin, psychothérapeute cognitivo-comportementale, qui regrette que "ceux qui s’en prennent à Freud et à la psychanalyse cherchent leur légitimité dans l’efficacité plutôt que dans la pensée." D’avoir suivi une analyse l’a aidée à "ouvrir le champ de son regard", affirme-t-elle. De plus, elle constate que "la méthode cognitivo-comportementale, adaptée à des troubles spécifiques, ne suffit pas lorsqu’il s’agit de troubles de la personnalité".

* Œdipe, le portail de la psychanalyse francophone. On peut y lire le commentaire d’Elisabeth Roudinesco sur Le Livre noir… Par ailleurs, l’historienne de la psychanalyse vient de publier : Philosophes dans la tourmente (Fayard, novembre 2005).