Elisabeth Berthou  | Le Courrier International | 28-07-2006

Les personnes qui s’intéressent à la psychanalyse, par curiosité ou par implication personnelle, se posent fréquemment une foule de questions sur ce qui peut apparaître comme des pratiques singulières liées à la cure analytique. Par exemple sur l’argent (cela coûte cher), sur la durée (des années), sur l’efficacité (aucune obligation de résultat), sur la présence du divan (le patient est allongé et ne voit pas son thérapeute)… Et peut-être sur la plus grande des singularités : la plupart du temps, l’analyste reste muet !

Le site d’informations médicales belge e-santé apporte quelques éclaircissements sur ce dernier point, en rappelant au préalable que l’utilité du silence au cours de la séance "a été découverte par Sigmund Freud, lorsqu’une de ses patientes lui aurait demandé de se taire afin qu’elle puisse pleinement s’exprimer".

"La finalité du silence en psychanalyse est donc de laisser libre cours à l’expression du sujet, à ses associations d’idées, à son inconscient, explique e-santé. C’est aussi la raison pour laquelle le patient est allongé sur un divan, depuis lequel il ne voit pas son psychanalyste. Il fait ainsi l’essentiel du travail, tandis que le thérapeute reste dans l’ombre et le silence. Ou presque, car son rôle est d’aider à progresser et à interpréter les quelques points qu’il souligne. Globalement, on considère que moins le psychanalyste en dit, plus ce qu’il dira est important."

Dans un récent ouvrage*, la psychanalyste franco-italienne Francesca Champignoux revient sur cette "fameuse neutralité du thérapeute". Le fait que le patient ne connaît rien de son analyste lui permet de projeter sur celui-ci tous les affects, toutes les problématiques de son histoire : le "transfert" – l’un des fondements de la psychanalyse – peut ainsi se mettre en place. Via la figure du thérapeute qui incarne tour à tour le père, la mère… l’analysé pourra avoir accès à son passé. Si l’analyste se met à parler de lui-même, précise Francesca Champignoux, "la ‘danse’ sera moins libre. Voilà pourquoi personne ne peut analyser sa meilleure amie ou son voisin de palier. Le transfert fonctionne quand, en séance, on ressent de la peine, de la joie, quand son cœur se serre."

Toujours est-il que "ce mutisme est intrigant, parfois agaçant ou angoissant, estime de son côté e-santé. Mais il faut savoir que la psychanalyse est une pratique qui s’adresse généralement à des personnes bien informées, qui savent notamment qu’elles vont se retrouver seules face à elles-mêmes."

Pour les autres, la psychothérapie en face à face peut représenter une solution alternative. "Le patient est davantage guidé par les interprétations du thérapeute, souligne e-santé. Soutenu par le regard et la parole, le patient s’exprime plus facilement. Le travail est aussi moins poussé et les séances moins fréquentes et plus courtes. Cette pratique est très efficace pour libérer les conflits psychiques conscients."

Aujourd’hui, la psychanalyse se retrouve en butte aux critiques au profit des thérapies cognitivo-comportementales (TCC), jugées plus rapides et plus efficaces pour régler certains problèmes en travaillant directement sur le comportement du patient : la cure analytique et ses contraintes n’ont plus le vent en poupe. Au demeurant, "les pratiques ont évolué et le silence adopté d’emblée par le psychanalyste face à son patient n’est pas toujours bénéfique et n’a pas forcément lieu d’être, écrit e-santé. Inversement, un comportement initialement interventionniste permet de rassurer le patient, lequel se livrera alors plus facilement et supportera mieux le silence qui devra être utilisé progressivement."

Néanmoins, si, dans les pratiques comportementalistes, "le silence n’a pas le même impact qu’en psychanalyse, conclut e-santé, il reste indispensable ; "Il permet au patient de se retrouver face à son inconscient et d’induire une certaine frustration dans le but de faire émerger des aspects inconscients refoulés."

* Danse avec l’inconscient, ou les coulisses de la psychothérapie de Francesca Champignoux (éd. Calmann-Lévy, 2005).