Isabelle Philippon  | Le Vif | 31-10-2006

Cela fait des années que le monde politique songe à protéger les patients en souffrance psychique contre les docteurs Folamour qui nuisent à la profession de psychothérapeute. Va-t-il enfin boucler le travail ?

Olivier (15 ans) ne parvient pas à dormir : à peine couché, il s’imagine que le robinet de la salle de bains coule, goutte à goutte. Il se lève, vérifie – il s’en doutait – : le robinet est bien fermé. Il passe quand même sa main dessous pour en recueillir une perle illusoire, se recouche et… se relève pour une nouvelle étape de son chemin de croix nocturne. Le spectacle de leur enfant, réduit à l’état de zombie, a poussé les parents d’Olivier à consulter un psychologue. Lequel a, d’emblée, mis un nom sur la « maladie » : « troubles obsessionnels compulsifs » (Toc). Depuis, grâce à une thérapie cognitivo-comportementale (ce vocable barbare désigne les approches psychothérapeutiques qui visent à modifier le comportement du patient en le « déconditionnant »), le jeune homme revit ou plutôt… passe de nouveau des nuits dignes de ce nom.

Martine (36 ans), elle, se demande ce qu’elle « a » : sa vie sentimentale est un désastre. Les hommes de sa vie, ceux qu’elle a aimés, se révèlent toujours violents au bout de quelques semaines de vie commune. « Mais qu’est-ce qui cloche chez moi ? » a-t-elle enfin décidé d’élucider. Pour elle, pas de remède miracle, a d’emblée prévenu sa psy : elle devra se livrer à des fouilles archéologiques intimes, s’interroger sur son passé, exhumer les mécanismes inconscients qui se mettent en £uvre lorsqu’elle rencontre la prétendue âme s£ur, et qui voilent sa perspicacité.

Ces deux exemples suffisent à le démontrer : la psychothérapie ne peut être limitée à une grille technico-médicale ou statistique : en matière de santé mentale, plus que partout ailleurs, comparaison n’est pas raison. Et il est impossible de réduire toutes les souffrances à un « symptôme »à éliminer. Chaque patient devra trouver la méthode la plus efficace pour traiter sa souffrance et le thérapeute qui lui convient le mieux.

Apprentis sorciers

Et c’est précisément là que le bât blesse : alors que ce métier se situe parmi les plus délicats qui soient, n’importe quel apprenti sorcier, gourou âpre au gain et autre « psy » en chambre peut apposer une plaque « psychothérapeute » sur sa façade sans en avoir la compétence, et faire commerce de la souffrance et de la crédulité humaines. Le titre de psychothérapeute ainsi que l’exercice de la profession ne sont, en effet, pas reconnus par la loi. D’où ce paradoxe : alors que pour être un vrai psychothérapeute, reconnu par plusieurs associations professionnelles réputées pour leur sérieux, il faut avoir suivi une formation longue et intense, les patients, eux, n’ont aucun moyen de savoir s’ils s’adressent à quelqu’un de compétent ou à un charlatan. Cela fait longtemps que le monde politique tente de combler ce vide juridique. En 2001, Magda Aelvoet (Agalev), alors ministre de la Santé, avait déposé un projet de loi réglementant les professions de la santé mentale : mal conçu – il « paramédicalisait » ces professions, les subordonnant à la prescription d’un médecin -, il fut jeté aux oubliettes. Ensuite, le député régional Yvan Mayeur (PS), à qui la présidence du CPAS de Bruxelles offre une bonne connaissance des réalités du terrain, a remis l’ouvrage sur le métier. Il a inspiré le texte de l’avant-projet de loi rédigé par Rudy Demotte (PS), ministre de la Santé du gouvernement Verhofstadt, texte qui attend toujours d’être approuvé en Conseil des ministres. Plus de cinq ans que ça dure, donc, et le temps presse : il ne reste, en effet, que sept mois tout au plus avant les prochaines élections législatives…

Freins corporatistes

La plate-forme de la Santé mentale, qui regroupe plus de 70 associations, instituts de formation, fédérations de professionnels £uvrant dans le secteur, estime donc que le moment est venu de passer aux actes : elle vient de rappeler officiellement son soutien à l’avant-projet de loi de Demotte, qui, tout en imposant un cadre et une formation académique sérieuse aux candidats psychothérapeutes, devrait préserver la diversité des approches psychothérapeutiques et, par conséquent, leur richesse. Pour les représentants de la plate-forme, appuyés notamment par le psychiatre Isidore Pelc, ancien chef du service psychiatrique au CHD Brugmann, à Bruxelles, et représentant de la Belgique à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en santé mentale, il serait aberrant de réserver le titre et l’exercice de la profession aux seuls licenciés en psychologie et aux médecins psychiatres : l’université ne forme pas nécessairement de bons «écoutants », et un psychothérapeute doit faire autant preuve d’un « savoir-être » que d’un savoir-faire théorique. Qu’attend donc Demotte pour finaliser le texte et le soumettre à l’approbation du gouvernement ? On imagine que la lutte d’influence corporatiste menée par les universités, les psychologues cliniciens et quelques médecins « intégristes », qui, surtout en Flandre, rêvent de se voir réserver tout le champ de la santé mentale, n’est pas étrangère à tant de lenteur…