Paru dans Le Monde, le 10 septembre 2005

 

Aussi dangereuse qu’insidieuse, une campagne obscurantiste se développe. Elle vise directement la psychanalyse et toutes les psychothérapies relationnelles qui considèrent que le traitement de la souffrance psychique ne saurait relever de la seule médecine.

 

Son premier acte fut, on s’en souvient, l’amendement Accoyer. Celui-ci subordonnait, dans sa rédaction initiale, toute psychanalyse, toute psychothérapie relationnelle, à la psychiatrie ­ et, dans les faits, à une certaine psychiatrie, qui tend à devenir dominante et s’appuie sur un nouvel avatar du béhaviorisme : les thérapies comportementales et cognitives (TCC), pour lesquelles les analyses du comportement expliqueraient l’ensemble des souffrances psychiques et, donc, prépareraient leur guérison.

 

Cette position se fondait sur un rapport de l’Inserm de février 2004 qui présente tous les symptômes de l’artefact. Un artefact consiste à poser les données d’un problème de telle manière que la réponse est déjà inscrite dans celles-ci. Prétendant montrer la supériorité des TCC sur toute psychanalyse et psychothérapie relationnelle, ledit rapport, qui étudiait un large échantillon de textes très majoritairement favorables aux premières, découvrait… ce que ses auteurs avaient choisi de découvrir.

 

Il succombait à une conception de l’évaluation en vertu de laquelle on pouvait ­ sans procéder d’ailleurs à la moindre analyse concrète ­ comparer l’effet des TCC et la cure psychanalytique ainsi que diverses formes de psychothérapies relationnelles. Comme si des démarches aussi différentes, reposant sur des postulats et procédant de méthodes aussi dissemblables, pouvaient être comparées avec des modes d’évaluation qui, de surcroît, plaquaient purement et simplement les présupposés des premières sur les secondes. Cela explique que Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, ait retiré la caution officielle qu’apportait à ce rapport sa présence sur le site Internet du ministère.

 

Certains ont cru, un peu vite, que la partie était gagnée. Mais, entre-temps, le débat parlementaire sur l’amendement Accoyer avait suivi son cours. Le prédécesseur de M. Douste-Blazy, Jean-François Mattei, avait cru jouer finement en exonérant des effets de cet amendement les membres des sociétés de psychanalystes qui accepteraient de donner leurs “listes” au ministère, coupant en deux le milieu des psychanalystes et isolant définitivement les psychothérapeutes.

 

Par une bizarrerie de l’histoire, ou par un singulier lapsus du législateur, l’ultime version de l’amendement adoptée par le Parlement se trouva être contradictoire dans ses termes. Un alinéa exonérait psychiatres, psychanalystes et psychologues de toute formation et validation spécifiques pour exercer la fonction de psychothérapeutes. L’alinéa suivant… les leur imposait !

 

Il paraissait impossible d’écrire un décret d’application sur le fondement d’un article de loi aussi contradictoire. M. Douste-Blazy, dans le droit-fil de sa décision prise à l’égard du rapport de l’Inserm, avait d’ailleurs laissé entendre que les décrets “attendraient” . Mais les promoteurs de l’amendement Accoyer ne désarment pas.

 

Aujourd’hui, ils publient un Livre noir de la psychanalyse qui s’inscrit dans la lignée des attaques innombrables qui, de Freud à Lacan, ont eu pour objet de discréditer la psychanalyse. Là n’est pas le plus grave : la psychanalyse en a vu d’autres ! Le plus grave, c’est la prétention des mêmes à ériger leur doctrine en science officielle.

 

Qu’on nous comprenne bien. La pensée créatrice ne se décrète pas. Nous sommes opposés à toute doctrine officielle. Nous savons qu’il peut y avoir partout des “dérives”. Mais la psychiatrie dominante n’en est pas plus exempte que les autres approches.

 

La diversité et le débat sont nécessaires à la production d’idées nouvelles, y compris à l’intérieur des disciplines. Il faut permettre, précisément, aux corps professionnels, dans leur diversité, de développer leurs règles internes en se confrontant entre eux. L’issue au problème révélé par l’amendement Accoyer serait une mobilisation des professionnels et des représentants des quatre disciplines concernées ­ psychiatres, psychanalystes, psychologues et psychothérapeutes ­ pour un travail approfondi et commun entre eux.

 

L’objectif serait, par le débat avec les commissions parlementaires des deux Assemblées, de trouver des règles de déontologie, un champ de valeurs, s’inspirant des “autorégulations” déjà mises en oeuvre et éprouvées au sein de ces professions, toujours appelées à évoluer. Dans cette démarche, la qualité des “disputes” professionnelles au contact du réel, la revitalisation d’une histoire, les nouvelles manières de faire, les différences cessant d’être indifférentes entre elles, seraient synthétisées dans une instance à imaginer.

 

Malheureusement, les promoteurs de l’amendement Accoyer ne sont pas sur cette ligne. Nonobstant les contradictions évoquées, ils s’emploient à obtenir la publication de décrets qui, dans les faits, donneraient à leur conception de la psychiatrie et à la sphère idéologique des TCC le monopole sur la formation des psychothérapeutes.

 

Ils envisagent ainsi très sérieusement la formation, en trois années d’études supérieures, de praticiens nourris de comportementalisme qui viendraient suppléer à bas prix toutes les carences que l’actualité révèle dans le secteur psychiatrique, pendant que l’enseignement de la psychanalyse se trouverait de facto écarté des universités.

 

Leur logique est récurrente. C’était, au départ, celle de la psychiatrie dominante contre la psychanalyse. Ce fut celle de la même psychiatrie et de la psychanalyse consentante contre les psychothérapeutes. Aujourd’hui, une même logique est à l’œuvre.

 

Il s’agit d’imposer le primat du comportementalisme et des logiques médicamenteuses qui lui sont liées sur le discours psychanalytique, accusé de refuser la réduction de la psyché à un meccano de déterminismes comportementaux. C’est une chasse aux sorcières qui frappe notre culture en son cœur.
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Jack Ralite est sénateur (PCF) de la Seine-Saint-Denis, ancien ministre de la santé.
Jean-Pierre Sueur est sénateur (PS) du Loiret, ancien secrétaire d’Etat aux collectivités locales.