[ L’Hebdo | 19/01/2015 ]

L’enfant à qui l’on fait du mal se met à faire mal, tant à lui-même qu’à ses proches. S’il perçoit qu’il n’est ni aimé ni désiré, il se sent en surplus. Non sans juste mobile, il tombe malade, criminalise ses actes, voire se donne la mort ou se suicide de manière inconsciente.

Les criminels, quels qu’ils soient, ne plongent jamais dans le cœur des innocents  qui meurent. Je vois en eux des personnages impitoyables. Leurs actes sont précédés d’une folie. Leur parole réclame du sang. Elle a soif du « bonheur du couteau » selon Nietzsche.

Qui que nous soyons, le fait que nous ne nous faufilions pas dans l’intime de l’humain, nous exclut de la connaissance des mobiles des comportements. Nombre de ceux qui sont persécutés annulent leur capacité de discerner leurs défauts. Nombre s’éprouvent persécutés en même temps qu’ils commettent des crimes. C’est le drame d’une obscure culpabilité.

On ne guérira jamais le terrorisme au moyen d’un autre terrorisme, fût-il celui d’un État présumé sensé. Un fait est capital : on s’illusionne si l’on pense pouvoir éradiquer la pulsion sacrificielle des hommes. Chacun le sait peu ou prou. Il y a plus d’un état de terreur dans les affres de la psychopathologie quotidienne. J’affirmerai qu’il n’est de terrorisme qui ne dépende d’un désir brutal, inféodé par la haine, le dogmatisme et la volonté de puissance.

Le terrorisme est une torture qui habite l’être de l’intérieur avant de rejaillir sur l’extérieur. Il est la conséquence d’une ancienne mais toujours actuelle maltraitance ; il est le symptôme d’une brutalité, subie et agie, qui se renouvelle. Cette brutalité commence depuis le plus jeune âge.

Nous devons être conscients que l’individu terrorisé, vivant en son être le mal torturant, est doublement en conflit avec lui-même et le monde extérieur. De son état psychique, la recherche psychanalytique fournit un éclairage : il s’agit, dira-t-elle, d’une catastrophe affective, voire d’un assassinat d’âme dont la cause est à la fois active et occultée. Il s’agit d’une présence à soi et aux autres conditionnée par une situation intérieure qui n’accède jamais à la conscience.

Mais encore, nous devons être conscients que l’individu terrorisé et terrorisant cherche, jusque dans la mort, une solution à la menace qui le persécute, une solution qui le délivre de sa souffrance. Non sans raison, il réactualise, et de diverses manières passionnelles, le péril initial qui l’aliène. De cette dynamique psychique, les commentateurs des récents massacres en France font peu cas.

En un mot comme en cent, le criminel terroriste répète la catastrophe qui le subjugue, en même temps qu’il aspire à un salut, fût-ce sous couvert d’une obéissance ou d’une idéalisation religieuse, voire de la promesse d’un avenir meilleur.

C’est, dirai-je, le naufragé qui appelle le retour du naufrage, en reproduisant la situation d’origine dont il est le rescapé. Ainsi, il espère être délivré et bénéficier des faveurs du grand Autre, Dieu ou prophète, au nom duquel il agit. Serait-ce lui, le naufragé, le terroriste terrorisé prêt au sacrifice suprême ? Sans doute. Un fait est sûr. Il n’est de religion patriarcale qui ne se fonde sur la persécution d’une malédiction originelle et d’un sacrifice expiatoire.

Au regard d’une telle situation, l’aveuglement des politiques, qui font l’impasse sur les forces de l’inconscient, est affligeante. Comprendre qu’il s’agit du tragique de la compulsion de répétition démoniaque* , inscrite au cœur de l’individu, les conduirait à l’essentiel à partir duquel une conception plus juste de la réalité pourrait émerger.

Pour la psychanalyse, il n’est de symptôme qui ne renferme sa cause. Si l’on ignore celle-ci, la méconnaissance, tant de l’ humain que de l’ inhumain, triomphe.