Il est parfois reproché aux images virtuelles de paraître plus vraies que la réalité, d’inviter à y entrer au risque de perdre toute distance critique par rapport à elles, et d’inciter à des formes d’adhésion émotionnelle sans retenue. Mais cela n’est pas nouveau. Ces trois caractéristiques font partie des objectifs de la peinture occidentale depuis la Renaissance. Les images virtuelles visent-elles à paraître « plus vraies que la réalité » ? C’était le compliment que les contemporains du peintre Raphaël faisaient à ses portraits. Invitent-elles celui qui leur fait face à se croire physiquement présent à l’intérieur ? C’est ce que prétendait réaliser Le Tintoret par un traitement de la perspective qui intégrait le spectateur, dans la scène représentée. Organisent-elles une forme d’adhésion émotionnelle extrême entre les figures représentées et celui qui les regarde ? Le peintre Murillo doit sa célébrité à avoir peint des vierges et des anges dont le visage attendrit les plus endurcis d’entre nous ! S’il y a des raisons de s’inquiéter des nouvelles images, ce n’est donc pas du côté de leurs pouvoirs visuels et émotionnels qu’il faut chercher : c’est parce qu’elles créent la sensation d’y être physiquement présents. La clé de ce pouvoir réside dans l’avatar.

A l’origine, l’avatar désignait dans la religion hindouiste les diverses incarnations du dieu Vichnou sur la terre. Sur Internet, il consiste dans la figure par laquelle l’usager d’un espace virtuel se déplace et interagit. Et en effet, on croit aux mondes virtuels à la mesure du pouvoir de notre avatar de les transformer. C’est pourquoi le problème n’est pas d’y entrer, mais de pouvoir en sortir, autrement dit de cesser d’y croire à volonté. Le bon usage des espaces virtuels est inséparable de la capacité de dégager sa croyance d’un simple clic. Pour en faire le meilleur usage, il n’y a qu’une seule solution : apprendre à y aller et venir, c’est-à-dire à les envisager comme vrais au moment d’y entrer… et comme faux au moment d’en sortir. C’est en cela que la capacité de jouer est au centre de notre liberté face aux nouvelles technologies. Et c’est pour cela qu’il faut l’encourager très tôt.