Le mot de « résilience » est largement utilisé aujourd’hui dans tous les domaines. En psychologie, il désigne la capacité de surmonter un traumatisme et/ou de continuer à se construire dans un environnement défavorable. Mais ce large usage ne recouvre aucune définition consensuelle car de nombreuses questions surgissent : le mot « traumatisme » doit il être réservé à des événements particulièrement dramatiques ou s’applique t il aussi à des faits que certains peuvent juger anodins, mais qui en bouleversent d’autres, comme de perdre ses clés de voiture ? Et que veut dire « surmonter » ? A partir de quand peut on dire qu’un environnement est « défavorable » ? Etc.
Ces quiproquos ne sont guère étonnants : l’approche de la résilience, initiée aux Etats-Unis dans les années 1950, a connu trois phases successives[1]. Du coup, tous les auteurs n’adoptent pas la même définition, sans compter ceux qui passent de l’une à l’autre sans le préciser, ce qui contribue évidemment à brouiller les repères…
Dans un premier temps, les pionniers de la résilience en ont fait une qualité personnelle. Leurs travaux ont eu l’immense mérite d’attirer l’attention sur la possibilité de surmonter de graves difficultés dans des conditions a priori hostiles. Mais cette approche a fait courir le risque de diviser l’humanité en deux : ceux qui seraient résilients… et les autres. En outre, ils ont suscité le désir de quantifier la résilience de chacun… voire de la prédire, ce qui est évidemment très hasardeux. Je suis parti en guerre contre cette définition dans les années 2000, à une époque où elle constituait l’unique visage de la résilience. Il en existe heureusement aujourd’hui deux autres.
La résilience a ensuite été définie comme un processus, facilité par ce qu’on a appelé « les facteurs de résilience ». Dans cette perspective, chacun peut devenir résilient à condition d’y être aidé. Mais sur ce chemin, un autre danger guettait : celui de penser que tout le monde allait construire sa résilience en suivant les mêmes étapes, comme si celle ci avait un chemin balisé. Nous savons aujourd’hui que la résilience se constitue à travers un ensemble de processus plus que par un processus unique.
Enfin, la troisième vague de la résilience a rompu avec les approches précédentes en la considérant comme une force – ou si on préfère une aptitude – que chacun possède à un degré ou un autre. C’est une puissance intérieure qui pousse à grandir et se développer quoi qu’il arrive, bien proche de ce que d’autres nomment l’Instinct de vie. Ses causes sont multiples et la résilience psychique trouve sa place dans une définition plus large : tout ce qui nous entoure a une dynamique qui le pousse à grandir et à s’organiser autant qu’à se désorganiser et à péricliter, et c’est cette capacité qu’il nous faut renforcer en nous contentant de lever les obstacles qui s’y opposent..
Alors, comment savoir de quoi chacun parle quand il prononce le mot de « résilience » ? Pour y voir plus clair, je propose d’en faire varier l’orthographe. Je propose de garder le mot « résilience » pour désigner une qualité, conformément à son usage courant, notamment dans le domaine de la résilience des matériaux. Je propose ensuite de désigner le processus de résilience caractéristique du vivant en l’écrivant avec un « a », « résiliance ». Cette appellation le rapproche des mots « reliance » et « survivance » et permet de souligner qu’il s’agit d’un travail jamais terminé. Enfin, je propose d’appeler « Résilience » (avec un « R » majuscule) la force qui nous permet de négocier avec les ruptures de l’environnement et les bouleversements intérieurs qui en résultent. Elle intervient dans les événements exceptionnels comme un accident, une maladie ou un deuil, mais aussi au cours des phases normales du développement telles que la crise d’adolescence, celle du milieu de la vie, la ménopause ou l’entrée dans la vieillesse. La seule chose qu’on en connaît est qu’elle existe, et la seule question qui importe est de savoir comment la renforcer partout.
Cette triple orthographe permettrait de mieux comprendre à chaque fois dans quelle logique se situe la personne qui l’emploie…
[1] Glenn E.Richardson, The Metatheory of Resilience and Resiliency, Journal of clinical psychology, voL.58, (3, 307-321 (2002).