Jean Florence s’entretient avec Michel Grodent pour Le Soir (22-09-2005)
 
Psychanalyste, professeur à l’UCL et à Saint-Louis, Jean Florence s’exprime à propos des critiques à l’égard de la psychanalyse.
 
 

Ce n’est vraiment pas la première fois, depuis plus d’un demi-siècle, de Karl Popper à Pierre-Debray-Ritzen, que l’on s’en prend à la psychanalyse, pour l’accuser de ne pas être scientifique, voire de ne servir à rien. Comment jugez-vous cet acharnement: ?
Dès l’origine, le message de Freud, a heurté les préjugés. La psychanalyse a toujours dû faire face à l’hostilité, et Freud se forger une âme de résistant. Dans la mesure où elle parle d’un aspect de nous-mêmes, l’inconscient, que nous préférerions ignorer, la psychanalyse n’est pas ce qui peut facilement se partager.
Et pourtant, l’affectivité de l’inconscient se révèle par toute une série de réalités sociales ou personnelles, tant dans le positif (la créativité) que dans le négatif (la folie). II y a donc, en chaque homme, une part qu’il ne maîtrise pas, et avec laquelle la psychanalyse entend dialoguer.
Si l’on défend une option rationaliste, on ne peut admettre de prendre au sérieux cette dimension, moins objectivable, je le reconnais, que les comportements visibles.

Ce qui, cette fois encore, est reproché à la psychanalyse, c’est la trop grande fluidité de ses concepts. Est-ce que ce n’est pas le rapport qu’elle entretient avec la littérature qui fait problème aux purs scientifiques ?
Mais vous savez tout aussi bien que moi que le, « littéraire » possède une rigueur spécifique. Pour parler de l’être humain, il y a un accès par le domaine que développe la littérature, et qui repose sur l’autorité des créateurs littéraires. Pour confirmer la psychanalyse, Freud n’est pas allé chercher du côté de l’expérimentation en laboratoire, parce que celle-ci découpe artificiellement des champs d’observation, programmés par l’expérimentateur lui-même. L’attitude analytique propre au psychanalyste, c’est celle de l’écoute de ce qui vient librement à l’esprit de l’analysant étendu sur le divan. Elle vise à favoriser les associations d’idées. Elle est l’inverse de l’attitude expérimentale, cette attitude de contrôle qui sait où elle veut aller. Le psychanalyste ne sait pas d’avance où va mener le dialogue engagé. On a simplement l’espoir partagé que la personne va adopter une attitude nouvelle par rapport à son histoire personnelle.

Iriez-vous jusqu’à dire que le réductionnisme serait finalement moins du côté de Freud que du côté de certains détracteurs de Freud ?
Ce n’est pas si simple. Il y a bel et bien un réductionnisme de la psychanalyse, quand Freud souligne l’importance de la sexualité, au risque de se faire accuser de pansexualisme. Moi, ce qui m’intéresse chez Freud, c’est la méthode qu’il nous a transmise, et que je trouve fabuleusement riche, quels que soient par ailleurs les vilains petits côtés du grand homme que l’on peut relever ici et là. Après tout, Freud n’était qu’un homme et je juge navrant l’argument qui consiste à chercher dans les manoeuvres, humaines, trop humaines, du personnage de quoi discréditer à jamais tout ce qu’il nous a apporté. Mais pour en revenir à ce reproche majeur fait à la psychanalyse d’être " floue ", croyez-vous vraiment que tous les concepts de la psychologie s’appuient sur une vérification ?

De fait, concernant particulièrement les sciences humaines, ne doit-on pas sans cesse rappeler aux scientifiques cette vérité élémentaire selon laquelle l’observateur fait partie de la chose qu’il observe ?
À qui le dites-vous ! La psychanalyse accorde la plus grande attention au fait qu’une thérapie se déroule toujours dans le cadre d’un rapport humain, et que deux personnes au sens fort sont impliquées dans cette relation. C’est pourquoi la règle est absolue : pour devenir psychanalyste, il faut avoir été psychanalysé au préalable. L’exigence de formation des analystes est continue. Pour ma part, cela fait trente-cinq ans que je continue à me former. En revanche, les thérapies comportementales étant basées sur du rationnel, un thérapeute peut être formé en moins de temps, sur la base d’un savoir scientifique qui met entre parenthèses tout le côté " aventureux " et affectif de la relation avec le patient. Or, si l’on est malade psychiquement, c’est aussi de cela que l’on est malade : de la difficulté d’entrer en relation avec les autres. Un symptôme pour le psychologue comportementaliste, c’est quelque chose d’anormal, à supprimer pour que la normalité triomphe. Cela suppose que ledit psychologue est détenteur de la norme.