Paru dans La Libre, le 24 novembre 2005

La Ligue de familles s’est prononcée pour l’adoption par les couples homosexuels. L’intérêt de l’enfant n’est-il pourtant pas de grandir avec un père et une mère de sexe différent?

Le 8 octobre 2005, l’assemblée générale de la Ligue des familles a approuvé, à la quasi-unanimité (trois abstentions, aucun contre), un avis favorable pour l’adoption par des couples homosexuels. Sous peine d’être traitée de «néo-traditionaliste», avec tout ce que cela sous-entend de péjoratif et de facile pour faire écran à la réflexion, je n’hésiterai pas à argumenter un avis différent. Différent de ceux qui prônent l’égalitarisme, qui fait aujourd’hui partie d’une certaine «modernité» bien médiatisée, qui oublie que l’altérité fonde la spécificité de notre humanité.
Est-ce la soumission à une société éprise d’immédiateté et d’effervescence médiatique qui rend soudain «urgent» le règlement de cette question? Selon le président de la Ligue, l’urgence se fonde sur la nécessité de «légaliser un état de fait».
L’«empressement à légiférer» peut engendrer des effets pervers. Une analogie pour vous faire sourire? Il faudrait aussi que les parlementaires se mettent de toute urgence à plancher sur la suppression des lois fiscales puisqu’une majorité des Belges fraudent le fisc. Ainsi dans cette même logique, face à un couple homosexuel éduquant un enfant, il faudrait d’urgence établir une législation de filiation (par ailleurs impossible) ! L’adoption n’est pas qu’un «fait social», aussi il est indispensable de confronter les divers regards culturels dont dispose notre société.
Cette position tranchée de la Ligue est-elle issue d’une autre influence de la modernité? Fruit de notre société de consommation qui refuse le manque, qui veut que tout désir soit réalisé et qui dément l’impossible? Avoir tout, être tout. Que penser de l’énoncé du président de la Ligue: «Les sociétés toujours ajoutent à la nature, instauratrice des liens de la génération et de la filiation, ce que la volonté créatrice des hommes estime opportun pour la réalisation de tous nos désirs et nos besoins» ? Nos besoins, oui sans doute, mais ceux-ci n’ont en rien à être confondus avec ce qui est du désir. Car ce dernier, pour rester vivant, ne peut être assouvi. Le «rêve humain» est par définition sans limite mais la spécificité de notre humanité est de ne pas le confondre avec «l’acte humain». Ce dernier est confronté aux réalités contraignantes de la vie… Mais il est vrai que de nos jours, le principe du Plaisir l’emporte et le principe de Réalité qui appelle au «non» devient un acte courageux! Oser dire non, c’est s’inscrire en contre-pied de la tendance actuelle qui pousse à accepter tout et n’importe quoi au prix d’une nouvelle valeur en hausse: «se réaliser à tout prix».
L’égarement de certaines revendications survient du fait d’une confusion entre être «égaux» et être «tous les mêmes». S’il faut se battre pour une égalité, il faut aussi savoir reconnaître l’importance de la différence. C’est par elle que chacun peut devenir unique et non le clone d’un autre. L’altérité facilite la subjectivation. Le monde psy auquel j’appartiens plaide pour un véritable respect de la différence jusqu’y compris dans le cadre juridique qui signe et parle de cette différence. Dans cet ordre d’idées, reconnaître un statut à un enfant vivant dans un couple homosexuel n’est pas du tout la même chose que de voter une loi rendant légale l’adoption par des couples homosexuels.
Comme argument pour convaincre, sont brandies les statistiques démontrant qu’il n’y aurait aucune différence entre les enfants ayant grandi avec des parents du même sexe et les autres. Ces études ont pour seuls objets d’analyse la détection d’une adaptation sociale et le repérage de maladies psychiatriques et portent principalement sur des jeunes adultes pour la plupart conçus par un couple homme-femme dont l’un est parti vivre son homosexualité. Aucune étude n’a été faite sur la structure psychique des enfants qui ont grandi dès le départ dans un couple homosexuel ni sur leurs éventuels manques.
Il est rarissime de lire un commentaire ou d’entendre citer le livre«J’ai deux mamans, c’est un secret». Livre écrit par une jeune femme qui est passée par là et qui dénonce la honte, le mensonge dans lequel vivent souvent des enfants qui grandissent avec des parents du même sexe. Peut-on nier la souffrance psychique souvent muette de ces enfants? Cela n’a rien à voir avec une question d’adoption ou non. C’est la question du regard de l’autre.
La souffrance des adoptés de «ne pas être comme tout le monde» et «de ne pas avoir des parents comme tout le monde» est connue et reconnue. Alors pourquoi faudrait-il que la société complique la vie d’un enfant déjà éprouvé par l’abandon en légalisant une situation où il aurait, en outre, à assumer la «différence» de ses parents d’adoption? Notre culture, par sa législation, peut-elle accorder à des adultes, en vue de leur accomplissement personnel, le droit de décider «pour l’intérêt de l’enfant» d’un cheminement aussi doublement inconfortable psychiquement? Face à cette question d’adoption par des homosexuels, est-il question de «droits de l’enfant» ou plutôt de répondre à un «besoin» d’adultes?
Par ailleurs, s’il est de toute évidence indispensable de légiférer en ce qui concerne l’enfant élevé par un partenaire non parental, on ne souligne jamais que la voie de l’adoption est impossible pour les nombreux enfants nés d’une relation hétérosexuelle et qui, après séparation, vivent dans une famille homosexuelle.
La Ligue se serait d’emblée ralliée à la cause de l’enfant dans le but essentiel de refuser tout risque ou source de discrimination. Les différentes propositions juridiques de parentalité sociale, de coparentalité, de tutelle ne sont-elles pas des réponses intelligentes permettant d’éliminer toute discrimination négative de statut juridique entre les enfants quelle que soit la composition de leur famille? La Ligue rejette ces pistes sans autre argument que d’estimer qu’un statut différent est un sous-statut! Or, opter pour un contrat de coparentalité protégerait l’enfant juridiquement et conférerait aux adultes qui en ont la garde tous les droits et les obligations attachés au rôle parental!
Parlant de discrimination, si cette loi passe, les décideurs se rendent-ils compte qu’en confondant un «état de fait» avec une discrimination, ils vont créer une réelle discrimination? En effet, les couples hétérosexuels belges en demande d’adoption se verront précarisés par rapport à ceux de nombreux autres pays où l’adoption homosexuelle est réfutée. Car la majorité des pays offrant de possibles enfants à adopter refusent que ceux-ci soient confiés à un couple homosexuel. Le but de l’opération est-il de pénaliser les familles hétérosexuelles en désir d’enfant? Parce que l’un souffre d’un certain handicap par rapport à une situation, tous doivent-ils en pâtir? Est-ce cela, la démocratie?
Adopter une loi ou régler la situation juridique dans laquelle nombre d’enfants se trouvent aujourd’hui sont deux choses différentes. Que l’on arrête de tout mélanger sous prétexte de démêler des contradictions! Donnons du temps au temps et prenons le temps de réfléchir si, dans le débat qui nous occupe, il n’y a pas à craindre un effet contre-productif qui entraînerait un déficit symbolique préjudiciable à l’organisation sociale et à la structuration psychique des individus. Est-ce enviable pour notre culture, sous prétexte de la diversité culturelle, que soit votée une loi qui nous considère comme «tous pareils» ? Que penser d’une société qui rejette en bloc toutes ses traditions au nom d’une «modernité» qui n’a pas encore fait ses preuves?
L’intérêt de l’enfant ne serait-il pas de lui garantir le droit de grandir avec un père et une mère de sexes différents? Je cite Tony Anatrella: «Le lien logique entre la conception de l’enfant et la sexualité des adultes est indispensable afin qu’il puisse se différencier subjectivement et socialement. Dire à l’enfant qu’il a deux papas ou deux mamans est un mensonge social et un handicap pour se situer dans l’altérité sexuelle.» L’adoption est plus qu’un statut juridique, elle définit l’identité humaine! Dans le cadre d’une union homosexuelle, la filiation est contraire à la logique la plus élémentaire. Est-ce le chaos mental et psychique que la jurisprudence doit transmettre aux enfants belges?
Si c’est vraiment le bien-être des enfants qui anime les réflexions et qui sous-entend les actions de l’assemblée générale de la Ligue, il faudrait peut-être qu’ils revoient leur copie…

Diane Drory est Psychologue, psychanalyste. Ancienne présidente de la Fédération belge des psychologues. Collaboratrice du «Ligueur».