Une anecdote personnelle : lorsque j’étudiais encore la psychologie à la Faculté, j’avais téléphoné par curiosité à une voyante pour savoir comment elle exerçait son métier.

Je lui ai exposé quelques éléments de ma vie, avant de lui demander de m’éclairer sur mon avenir. Etant une femme sensée, elle m’a répondu avec circonspection. Ensuite, je lui ai révélé la vraie raison de mon appel et je me suis présenté comme étudiant en psychologie. Cela l’a amusée, et c’est alors elle qui a demandé si moi, en tant que psy, je pouvais l’aider à résoudre un problème de choix concernant son avenir…

Qui n’a jamais eu envie de connaître son futur ? Qui ne l’a simplement jamais imaginé ? Si nous laissons de côté la question de juger de la réalité ou non des phénomènes de voyance, la réflexion qui nous intéresse à partir de cette petite histoire, c’est de savoir si le psychanalyste a des capacités de prédectibilité particulières.

L’étude des mécanismes psychiques, depuis la découverte des conflits inconscients par Freud jusqu’aux développements ultérieurs très riches de la psychanalyse, a contribué à affiner la capacité de connaître ce qui est singulier chez une personne, non dans le sens de sa destinée ou de la destination d’un  plan de vol  établi à l’avance, mais dans le sens de la capacité de cette personne à dessiner un plan de vol pour s’orienter dans sa vie. Ainsi l’attention du psychanalyste porte sur la manière dont son patient vit les rapports à soi-même et aux autres : il observe les angoisses, les fantasmes et les mécanismes de défense qui définissent les contours de sa personnalité.

Freud invente le concept de « compulsion à la répétition » pour décrire une force incoercible d’origine inconsciente qui conduit un sujet à répéter des expériences pénibles dans sa vie. Prenons un exemple courant : les choix amoureux sont, on le sait fort bien, dictés par des forces que l’on ne maîtrise pas. Le cœur a des raisons que la raison ignore. Et parfois, cela se passe mal. On a beau savoir qu’on « tombe » pour la énième fois sur un partenaire avec qui ça ne marchera pas, ou faire le constat que ses relations s’enfoncent chaque fois dans les mêmes impasses… Nulle nécessité d’être voyant ou prophète pour prédire la suite dans ces séries malheureuses. C’est ici justement que l’art du psychanalyste vient offrir une ouverture extraordinaire.

L’analyse des conflits inconscients liés aux vécus infantiles peut ouvrir des portes chez un patient qui, travaillant sur la nature profonde de ses difficultés, tolère mieux de faire face à la réalité et se situe davantage en tant qu’adulte dans sa vie. A la suite d’une bonne évolution, on pourrait croire que la chance a enfin tourné pour lui – cette chance dont on aimerait parfois que la voyante nous en fasse la prédiction – alors qu’en fait, le patient est devenu capable de saisir les opportunités que la vie lui présente, auxquelles il était resté jusque-là comme aveugle.

La prédictibilité du psychanalyste aurait donc un caractère particulier, dans le sens où il ne peut pas savoir quels événements surgiront ou non dans la vie de son patient, mais il est capable de se faire une idée assez précise de la manière dont celui-ci pourra faire face ou non à des situations difficiles de l’existence, ce qui est déterminant pour son devenir.

Genève, le 26 mars 2006.