Benjamin Sahler s’entretient avec Luc Peillon pour Libération ( 5 juin 2007)

Les suicides liés au travail augmentent-ils ?  
L’imbrication entre la vie personnelle et professionnelle est telle qu’il faut rester très prudent. Mais le travail reste le lieu d’une construction identitaire importante. Ce qui n’est plus contesté par personne, c’est qu’on assiste, depuis quelques années, à une montée des difficultés au travail, qu’on retrouve dans l’augmentation des arrêts de travail. On peut également faire l’hypothèse, dans la répétition de suicides sur un même établissement et sur une courte période de temps, d’un phénomène de «contagion», avec l’idée que l’on veut faire passer un message collectif. Il peut donc y avoir, dans ce cas, et au moins symboliquement, une signification en lien avec le travail.

 

Cette tendance est-elle liée à la pression croissante sur les épaules du salarié ?  
Du fait de la concurrence, de l’urgence économique, l’entreprise a des exigences toujours plus importantes sur les résultats, sans se préoccuper suffisamment des moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre. Les salariés, de leur côté, ont des attentes plus fortes vis-à-vis de leur travail, de son sens, de la reconnaissance qu’ils en attendent, de l’équilibre avec leur vie privée. Mais la question n’est pas tant de faire baisser la pression que de mieux la répartir sur le collectif, au lieu de la renvoyer sur des individus. Sur ce point, la responsabilité n’est pas uniquement celle de l’employeur mais aussi celle des collègues. Cette tendance à l’individualisation est une erreur que l’on risque de payer très cher à l’avenir.

Les collectifs de travail se désagrègent…  

Cette situation est en partie due à de nouvelles formes de gestion des ressources humaines, qui vont placer les salariés en concurrence les uns avec les autres, au lieu de miser sur le collectif. Ils ne vont plus être collègues, mais rivaux. On assiste aussi à des changements dans les organisations de travail : des salariés peuvent ainsi être «à cheval» sur deux équipes. On va ainsi se retrouver avec une équipe le matin et une autre l’après-midi, sans préservation des rites et habitudes du collectif traditionnel. Quant aux syndicats, qui permettaient d’entretenir une camaraderie et une solidarité au travail, ils se délitent. Dans ces situations, les maillons les plus faibles ne tiennent pas le coup. Pour prévenir ces situations, le rôle du médecin du travail est très important. Tout comme celui du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Cet organisme paritaire, qui regroupe les représentants des employeurs et des salariés, sert notamment à surveiller au quotidien les difficultés nées de l’organisation du travail.

Benjamin Sahler, ingénieur et psychanalyste, est responsable de l’Aract (Association régionale d’amélioration des conditions de travail) Limousin. Il a dirigé l’ouvrage Prévenir le stress et les risques psychosociaux au travail (éd. Anact).